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"À l'insu de leur plein gré" : il y a 25 ans débutait l'affaire Festina

Sébastien Gente
Les larmes de Richard Virenque, image inoubliable
Les larmes de Richard Virenque, image inoubliable AFP
Le 8 juillet 1998, en pleine Coupe du monde, un banal contrôle routier va déboucher sur la première grande affaire de dopage de l'histoire dans le cyclisme professionnel, aux conséquences encore perceptibles aujourd'hui et à des moqueries et expressions inoubliables.

Les rumeurs, elles existent dans tous les domaines. Celle-là n'aura jamais été prouvée. Cette rumeur selon laquelle le contrôle ordonné par les douaniers à la frontière franco-belge, le 8 juillet 1998 à 5 heures 40 du matin, aurait été effectué suite à une dénonciation anonyme d'un directeur sportif d'une équipe cycliste professionnelle, soucieux de mettre fin à la domination grandissante de la formation Festina.

Ce directeur sportif, si cette rumeur est vraie, n'a clairement pas mesuré les conséquences de son geste. Car ce n'est pas que l'équipe française qui s'est effondrée, c'est tout un système. L'apparition au grand jour du dopage à grande échelle dans le peloton, souvent suspect mais jamais. Et la fin d'un grand paquet d'illusions.

Car dans cette voiture, il y avait Willy Voet, l'un des soigneurs de Festina. Et l'arsenal que découvriront les douaniers va le sidérer. Un inventaire à la Prévert de la pharmacopée vélocipédique : des amphétamines, des hormones de croissance, de la testostérone, des corticoïdes. Et surtout, de l'érythropoïétine, communément appelée EPO, et qui sera le symbole d'une génération entière, voire davantage. 

Impossible de prétendre que cela est pour une seule personne, comme l'avait prétendu Raimondas Rumsas qui avait, quand sa femme avait été serrée le coffre plein de ces produits, déclaré que tout était pour sa belle-mère malade. Non, ceci laisse présager ce que tout le monde ne voulait voir : un dopage organisé.

Trois jours de garde à vue plus tard, Voet avoue et reconnaît l'existence d'un système parfaitement régi dans le seul but de tricher. Nous sommes le samedi 11 juillet, jour du départ (qui a lieu d'Irlande) et, surtout, la veille de la finale de la Coupe du monde de football. Le retentissement est fatalement mince à ce moment-là, la France n'ayant d'yeux que pour Zizou et ses copains. 

Mais après un triptyque insulaire, le Tour revient en France, et dès la fin de la première étape dans l'Hexagone, Bruno Roussel, directeur sportif de Festina, ainsi que le médecin Eric Rijckaert passent à leur tour par la case commissariat. Ils ne tardent pas à reconnaître l'évidence : oui, l'équipe Festina organise en interne son dopage, payé avec les primes de victoire et dont tout le monde bénéficie. 

Virenque, des pois à la chute

Le problème, c'est que dans cette équipe, on trouve un certain Richard Virenque. Et il est devenu depuis quelques années le favori du public, le chouchou de cette France qui ne regarde du vélo que trois semaines par an. Une idole. Quadruple maillot à pois en titre, troisième en 1996, deuxième l'année précédente : cette fois, c'est son tour, son année. Il a annoncé qu'il ne viserait pas les pois mais le jaune.

Alors, quand il apparait au grand jour que c'est son équipe - et donc lui - qui est impliquée, la France refuse d'y croire. Lui-même nie l'évidence avec tant de conviction, qu'on a envie d'adhérer. Peut-être est-il le seul dans l'équipe à ne pas en bénéficier. Après tout, il n'a pas été contrôlé positif. La réalité est cruelle pour les supporters de "Richard coeur de lion" puisque, non seulement il est mouillé jusqu'au cou, mais tous ses coéquipiers avouent et le désignent comme tête pensante du système, chose qu'il avouera seulement lors du procès en 2000. D'ailleurs, Roussel déclarera que la première chose que Virenque a dit quand on lui a appris l'arrestation de Voet - et donc la saisie des substances trouvées dans le véhicule est : "mais comment je vais faire pour avoir mes produits ?".

Alors que l'organisation exclut logiquement Festina de la course, débute pour Virenque un autre procès : le médiatique. Cette conférence de presse mythique dans un bar avant le départ d'étape où il annonce en larmes que l'équipe se retire n'est que le début. Car ses déclarations sont quelque peu incohérentes, notamment celle où il explique ne pas s'être dopé intentionnellement.

Cela débouchera sur une expression culte qu'il n'a pourtant jamais prononcé : "je me suis dopé à l'insu de mon plein gré". Une phrase inventée par feu Les Guignols de l'Info pour se moquer du coureur qui était quasiment le seul a ne pas vouloir reconnaître le système de dopage dans son équipe quand tout le monde avait avoué. Les tests pratiqués révèleront évidemment des traces de produits dopants. 

Avec son accent varois et ses fautes de syntaxe, Virenque avait la gueule de l'emploi pour la caricature. En réalité, il n'est pas le personnage le plus risible de cette histoire. Les réactions du patron de l'époque de l'Union Cycliste Internationale, Hein Verbruggen, d'un certain Jean-Claude Killy, président d'Amaury Sport Organisation sont lunaires. Pour le premier, tout le monde a recours au dopage; pour le second, le dopage n'est pas un problème en soi. Ou comment retarder l'inéluctable. 

Car c'est toute une bulle qui est en train d'éclater,et toutes les illusions des fans, des Français, des suiveurs du cyclisme : quasiment tout le peloton se dope. Ces cas ne seront que les premiers d'une trop longue série : Lance Armstrong bien entendu (couvert par... Verbruggen), l'opération Puerto, Floyd Landis, Riccardo Ricco, Alberto Contador et tant d'autres durant les 15 années qui suivront. 

Encore des question 25 ans après

25 ans plus tard, que reste-t-il de l'affaire Festina ? Déjà, aucun coureur ne peut faire une vraie performance sans être soupçonné de dopage. Les Tadej PogacarRemco Evenepoel, Wout Van Aert, Mathieu van der PoelJonas Vingegaard sont systématiquement sur le grill à chaque victoire. C'est ancré dans la tête de n'importe quel fan : quand un coureur fait un écart en montagne, place une belle attaque et laisse sur place ses rivaux, "il est dopé" est la première expression qui revient inlassablement. 

Certes, cela a débouché sur la création de l'Agence Mondiale Antidopage, qui fait un boulot permanent pour rattraper un retard constant sur les tricheurs - car oui, il en reste, et pas qu'en vélo. Mais la conséquence la plus désagréable reste l'étiquette "sport de dopés" collée au cyclisme et qui pègue comme le sparadrap du Capitaine Haddock, comme s'il n'y avait jamais eu de cas recensés dans d'autres sports. 

Un quart de siècle après, quand on se replonge dans cette affaire, une question demeure en suspens :"que ce serait-il passé si cette affaire n'avait jamais eue lieu ? Vu le nombre de décès précoces chez les coureurs, la question trouve vite sa réponse. Cela n'aurait pas eu le même retentissement si le plus populaire des coureurs français de l'époque n'avait pas été impliqué. Une affaire impliquant une équipe mineure sans grand nom n'aurait fait que pousser tout le monde à enfoncer la tête encore plus profondément dans le sable. L'autruche au pays de la triche. Simple comme un coup de fil. 

France gouvernement

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