À Strasbourg, l'équilibre difficile d'un organe de presse local pour informer et survivre
L'époque est à la diversification exponentielle des revenus dans le sport. L'entretien de cette bulle spéculative contribue à l'envolée des prix lors du mercato qui a (enfin) refermé ses portes vendredi soir. Au milieu de cette quête aporique, quelle est la place des media locaux ? La presse quotidienne régionale est un élément incontournable de la vie d'un club mais alors qu'elle évoque des millions d'euros à longueur de colonnes, elle survit plus qu'elle ne vit.
Pourtant, il faut une sacrée dose de courage, voire d'inconscience pour se lancer sur ce marché. C'était le pari de Jonathan Helbling quand il a créé Alsa Sports et RCS-Live. À l'époque, le Racing Club de Strasbourg est un vestige du club qui disputait la coupe de l'UEFA, quand Alexander Vencel sortait un penalty de Ronaldo Fenómeno contre l'Inter. "J'ai lancé le site en 2011, quand le club était en CFA 2, explique-t-il. Notre force est d'avoir été là dans les moments les plus sombres de l'histoire du Racing. C'est d'ailleurs ce qui a permis de jouir d'une certaine popularité auprès des supporters".
Si les clubs veulent diversifier leurs sources de revenus, la presse veut aussi diversifier son activité. Mais hormis la SIG en basket, Mulhouse en volley féminin et Sélestat en handball, la région n'est pas très achalandée et le Racing prend l'essentiel de la place. Ce qui n'empêche pas de multiplier les supports pour toucher le maximum de publics : "on fonctionne avec le web qui a fidélisé entre 200 et 250.000 visiteurs uniques par mois, nous avons aussi une émission en plateau tous les lundis, un mensuel papier vendu par abonnement et dans 300 points de vente ainsi qu'un magazine gratuit où on parle de toute l'actualité locale".
Proximité avec les lecteurs, confiance avec les joueurs : le tableau semble idyllique mais les choses ne sont jamais aussi linéaires. La vie d'un titre de presse locale n'est pas simple et Alsa Sports en est le témoin. Même après avoir été présent quand plus grand-monde n'était là, y compris les Dernières Nouvelles d'Alsace qui avaient réduit la voilure après la chute en CFA 2, les relations avec le Racing ont été orageuses. "Ça a même été conflictuel, se remémore Jonathan Helbling. Au départ, on s'appelait RCS Live, nom qu'on avait déposé avec l'accord de Frédéric Sitterlé, le président de l'époque. Qund Marc Keller est arrivé, son service com' a voulu nous faire sauter le nom et ça a été le début des embrouilles avec le club. Il n'y avait pas de journaliste donc après la montée en L2, on s'est fait éjecter". Pas simple de partager la tribune de presse avec des influenceurs aux contenus lisses et sans aspérité... "Nous qui étions là au quotidien n'avions aucune porte d'entrée. Quand un investisseur est arrivé en 2018, le club nous a attaqués pour nous retirer le nom RCS Live. Après avoir changé en Canal Racing, le voilà contraint de trouver un nouveau nom après que... Canal + l'a mis en demeure : "on est devenu Direct Racing. Le club ne nous a pas aidés à bâtir ce media mais, depuis 2-3 ans, nos relations sont très saines et j'en suis fier".
C'est souvent la quadrature du cercle pour la presse : les clubs veulent de la médiatisation mais ne facilitent pas le travail des acteurs locaux qui ont contribué à maintenir un ancrage dans le territoire. "Les supporters nous disent souvent que si nous n'avions pas existé, ils se seraient désintéressés du club, constate Jonathan Helbling qui rapporte une anecdote éloquente: "en CFA 2 et CFA, on était les seuls à diffuser les matches, on était précurseur de la diffusion en streaming sur Youtube à une époque où ça n'existait quasiment pas. J'ai en mémoire un match à Grenoble en CFA avec 8000 personnes en simultané, même Matt Pokora avait tweeté !".
Or le développement des réseaux sociaux a provoqué une volonté exacerbée d'internaliser la communication. Une solution qui laisse dubitatif et que le fondateur synthétise : "si tu veux maîtriser la communication, il n'y a rien de mieux que de se mettre d'accord avec les media. Mais vu que les clubs sont hermétiques, il faut passer par la fenêtre pour avoir des infos et donc là, ils ne maîtrises plus rien du tout. C'est leur stratégie mais j'ai l'impression que le Racing a opéré un changement, depuis quelques mois".
Si le processus de vente du club au cours des deux dernières années a contribué à un regain d'intérêt pour l'actualité du Racing, cela ne suffit pas pour assurer la pérénité du groupe. Comme pour l'essentiel du secteur, c'est la publicité qui permet de bâtir un budget : "le site web est gratuit mais il y a la possibilité de s'abonner pour nous soutenir. Il faut se diversifier pour exister et on sait que c'est compliqué de négocier avec les régies publicitaires. On traverse une petite tempête mais on tient bon. La saison dernière, nous étions 7 salariés, aujourd'hui nous ne sommes plus que 4, tous au SMIC". En espèces sonnantes et trébuchantes, le coût de fonctionnement global est situé en 100.000 et 130.000€ par an.
Les possibilités de croissance demeurent complexes, y compris lorsqu'on propose un contenu quotidien en lien avec l'institution sportive phare de la région qui véhicule une image positive. Pourtant, c'est la presse locale qui fait vivre un club, bien plus qu'un media national qui a peut-être plus d'attrait et de renom. Si les supporters le rendent parfois mal, la presse quotidienne régionale contribue en première ligne à l'attachement sentimental. Accessoirement, c'est aussi elle qui sera là pour faire subsister l'information, même en cas de mauvais résultats, de descentes, voire pire. Indispensable mais précaire en somme.