Aitana Bonmatí, une finale de Coupe du monde et un Ballon d'or à conquérir
Aitana Bonmatí est la grande favorite pour succéder à Alexia Putellas, sa coéquipière au FC Barcelone, au palmarès du Ballon d'Or. Championne d'Espagne, championne d'Europe, la milieu de terrain est la dépositaire du jeu blaugrana, ce qui se fait de mieux au monde. La qualification de la Roja en demi-finale de la Coupe du monde ne fait que confirmer cette tendance.
Vision et, surtout, compréhension du jeu, Bonmatí est une joueuse brillante, capable de passer et de marquer. Moins physique que Putellas, elle compense par un très bon placement, aidée également par Patri Guijarro et Keira Walsh dans l'entrejeu. La blessure au genou de Putellas quelques jours avant l'Euro 2022 a changé son positionnement. "Je ne pense pas avoir plus le ballon quand Alexia n'est pas là, estime-t-elle dans une interview accordée à Marca ce lundi. Ça dépend beaucoup de ce que le coach te demande. L'année dernière au Barça, je devais descendre plus bas même si je pouvais attaquer l'espace. Cette saison, j'avais une position plus avancée. Cela m'a aidée à me rapprocher de la surface car j'ai eu plus d'options pour générer la dernière passe ou pour pouvoir marquer un but. Dans le cas de la sélection, c'est un peu pareil. Si je dois défendre, je défends, il n'y a pas de problème".
Leader de "las 15"
Malgré des performances haut de gamme, elle n'était pas assurée de participer à la Coupe du monde. Évidemment, ce n'était pas en raison de son niveau. Depuis l'Euro 2022 et la grave blessure de Putellas à l'entraînement quelques jours avant le début de la compétition, plusieurs joueuses ont voulu faire bouger les lignes au sein de la sélection. "Las 15" comme elles sont surnomées font passer un mail interne pour réclamer davantage de moyens et d'ambitions auprès de la fédération et du sélectionneur, Jorge Vilda. Bonmatí est aux avant-postes. Un truc de famille : ses parents sont parvenus à faire changer la loi pour qu'elle puisse porter en premier le nom de sa mère puis Conca, le nom de son père.
Face au manque de prise de sérieux, elles se mettent en retrait de la Roja, invoquant leur santé mentale. La presse barcelonaise les défend, son pendant madrilène les enfonce. Il n'y a pas besoin de longtemps pour qu'une rivalité s'installe. Le Real Madrid a racheté la licence du CD Tacón en 2019 pour créer une section féminine à part entière en 2020. Et la mise en retrait des 15 a principalement profité aux joueuses madridistas qui avait appuyé le mouvement en interne avant de s'en désolidariser publiquement sur injonction de leur club. El Confidencial affirme même que le sélectionneur, pourtant supporter blaugrana, pousserait, notamment par l'entremise d'Ana Rossell (ancienne présidente du Tacón passée elle aussi au Real Madrid et personnalité très influence du football espagnol), en faveur du club merengue sur le mode "si tu signes, tu seras convoquée". Le mail interne fuite étrangement dans la presse et, Marca en tête, prend la défense du sélectionneur puisque la situation profite largement aux Vikingas qui n'ont pourtant pas franchi la phase de poules de la Ligue des Champions. Ainsi, pour sa première liste après, l'Euro, la sélectionneur a appelé 10 joueuses de la Casa Blanca qui, depuis, ont toutes perdu leur protagonisme sauf Teresa Abelleira et Esther González qui vient de partir du club en fin de contrat.
La situation est problématique à plus d'un titre. Tout d'abord, la meilleure équipe d'Europe est le FC Barcelone. Lors de la dernière finale de Ligue des Champions remportée cette saison, 7 Espagnoles sont titulaires, sachant que Putellas, en phase de reprise, est sur le banc. Dans le même temps, le Real Madrid n'a jamais battu son rival et perd la Copa de la Reina aux tirs au but contre l'Atlético de Madrid (le Barça a été éliminé sur tapis vert pour une erreur dans la composition contre Osasuna).
Autre fait étonnant : l'identité du supérieur hiérarchique de Jorge Vilda. Il s'agit de... Jorge Vilda lui-même ! Membre de l'assemblée décisionnaire au sein de la Fédération, il avait promis de voter pour Juan Luis Larrea... avant de faire volte-face en faveur de Luis Rubiales qui fut finalement élu. Dès lors, bien difficile d'attendre une quelconque amélioration en faveur des joueuses... Arrivé en 2015 après 30 ans d'Ignacio Quereda, sélectionneur accusé d'avoir eu de manière répétée un comportement très tangeant pour manier l'euphémisme, le préparateur physique de formation a montré ses limites tactiques. Alors que tous les clubs espagnols (Barça, Real Madrid, Atlético de Madrid) ont éliminé plusieurs clubs anglais en Coupe d'Europe, la Selección a été sortie par l'Angleterre lors du dernier Euro. Un résultat vendu comme étant positif puisque les Three Lionnesses l'ont emporté à domicile. Mais dans les faits, comment se satisfaire d'un 1/4 finale quand le Barça a disputé les trois dernières finales de la C1 et en a remporté deux ? "Je suis une personne très ambitieuse et compétitive qui veut tout gagner, tranche-t-elle. Nous ne sommes plus les mêmes joueuses qu'il y a quatre ou cinq ans et c'est pour cela qu'il faut qu'on soit exigeantes avec nous-mêmes. Si on fait des choses extraordinaires dans nos clubs, on peut aussi le faire avec l'équipe nationale. Mon ambition est toujours la même et chaque jour j'exige 100% de moi".
La défaite contre le Japon a tout changé pour la Roja
À l'approche du Mondial, le groupe des 15 s'est scindé en deux. Bonmatí est du voyage. Irene Paredes et Putellas, qui ne faisaient pas partie des frondeuses initiales mais avaient apporté leur appui, sont également aux antipodes. En revanche, les Barcelonaises Mapi León, référence mondiale en défense centrale, Guijarro autrice d'un doublé en finale de la Ligue des Champions et l'attaquante Claudia Pina ne sont pas là, tout comme la gardienne Lola Gallardo (Atlético de Madrid), Lucía García (Manchester United), Amaiur Sarriegi et Nerea Eizagirre (Real Sociedad) entre autres.
Pour évoquer la situation, l'omerta est de mise. Il y a le discours officiel et le "off the record". La fédération aurait ainsi fait parvenir un mail aux rédactions avec le mot d'ordre d'utiliser un ton mélioratif, au risque de se voir fermer les accès médiatiques aux joueuses. Et d'autres rumeurs bruissent : Bonmatí serait revenue sur insistance de ses sponsors qui n'imaginent pas ne pas la voir sur les terrains pour le Mondial. "J'ai de la personnalité et je ne me cache pas, quand ça va et quand ça ne va pas, martèle-t-elle. Je ne suis nullement affectée par ce que disent des gens qui ne me connaissent pas, qui ne savent pas tout ce que nous avons vécu, qui ne savent pas comment la situation a été, qui ne savent rien et qui ne parlent que depuis leur canapé. La seule qui sait ce qu'elle a traversé, qui a pris les décisions et pourquoi elle les a prises, c'est moi. Je n'ai pas à l'expliquer à qui que ce soit".
Les deux premiers matches du match ont été négociés aisément contre le Costa Rica (3-0) et la Zambie (5-0). Et puis tout a changé après la raclée reçue contre le Japon (4-0). La déroute lui ait clairement restée en travers de la gorge : "c'est une équipe que je respecte beaucoup, leur plan de match s'est avéré parfait. Nous avons beaucoup appris des erreurs que nous avons commises ce jour-là. Perdre nous a rendues plus fortes et les deux matchs que nous avons disputés depuis, contre la Suisse (5-1)et les Pays-Bas (2-1, a.p.), ont été énormes".
Cette fois-ci rien n'a fuité mais on aurait adoré savoir ce qui a bien pu se passer dans l'intimité de la Roja. La gardienne Misa Rodríguez, la défenseure centrale Rocío Gálvez qui avait remplacé sa coéquipière en club Ivana Andrés légèrement touchée avant d'affronter le Japon et la latérale gauche Olga Carmona : toutes ces joueuses du Real Madrid ont disparu du XI de départ contre la Suisse puis contre les Pays-Bas. Ont été promues Cata Coll, immense potentiel mais remplaçante au Barça et qui ne comptait aucune sélection avec la Absoluta; Laia Codina, troisième choix dans l'axe au FCB et Ona Battle, qui vient de signer au Barça, a changé de côté, passant à gauche pour introniser Oihane Hernández qui vient de signer au Real Madrid. Même María Pérez, qui a passé la saison entre le Barça B et l'équipe première, a eu plus de temps de jeu qu'Athenea del Castillo, lors du 1/8 de finale contre la Suisse alors que le match était plié.
De quoi alimenter l'éventualité que Vilda a été relégué au rang de faire-valoir puisque tous ses choix depuis un an ont été désavoués au moment d'attaquer les matches à élimination directe. Il suffit de voir sa grande solitude après les victoires en 1/8 et en 1/4 pour constater le manque de soutien dont il bénéficie chez les joueuses. Les quelques abrazos avec des joueuses ont été mises en avant par la fédération sur ses réseaux sociaux mais ne dupent guère de monde. Car outre les Barcelonaises, les Madridistas ne portent guère le sélectionneur dans le coeur non plus, s'estimant trahies par l'absence dans la liste de Maite Oroz, écartée au dernier moment.
Déjà historique, en attendant mieux
L'Espagne dispute ce mardi (10h) sa première demi-finale mondiale. Ce n'est pas un exploit, c'est tout simplement logique. La sortie de Bonmatí, qui avait reçu un coup sans gravité, à la 88e minute alors que le score était de 1-0 pour l'Espagne alors que les arrêts de jeu promettaient d'être longs (12 annoncées, 13 en tout) a failli avoir des conséquences catastrophiques puisque cela a provoqué une désorganisation au milieu qui a pour conséquence une égalisation à la 90e+1 et une prolongation très difficile où l'absence de la cheffe d'orchestre s'est faite ressentir pendant toute la prolongation malgré la victoire. Il s'en est fallu de peu pour vivre le remake d'Argentine-Allemagne du Mondial 2006 avec José Pekerman qui sort Juan Román Riquelme quelques minutes avant l'égalisation de Miroslav Klose et l'élimination de l'Albiceleste aux tirs au but...
Il n'y aura pas de revanche contre le Japon, battu par la Suède qui avait écoeuré les États-Unis en 1/8 finale grâce à sa défense et sa gardienne Zecira Musovic. Bonmatí sera très attendue pour mener la Roja en finale. Pour elle et ses coéquipières, "c'est une opportunité unique. Nous sommes en demi-finale et nous devons aspirer à tout. La première chose est d'atteindre la finale et ensuite de la gagner, mais nous ne pouvons pas anticiper. Nous allons tout donner contre la Suède. Vous devez garder à l'esprit que parfois les matches sont injustes et peuvent être décidés contre le cours du jeu, une erreur. J'espère que nous jouerons un grand match et que nous mériterons d'être en finale".
Bonmatí avait tout à perdre : elle a finalement mis tout le monde d'accord, encore une fois. Plus forte que le clubisme, véritable fléau en Espagne, la Catalane a montré quel genre de leader elle était. Ce n'est pas une découverte, juste une confirmation.