Anthony Yarde, une formalité pour Artur Beterbiev alias le Mike Tyson canadien ?

Dix-huit combats et autant de KO : Artur Beterbiev n'est pas du genre à attendre le verdict des juges. Le mi-lourd broie, concasse, dérouille. Une marque de fabrique qu'il applique depuis le début de sa carrière professionnelle en 2013 et ses débuts au Canada contre Christian Cruz. Russe d'origine tchetchène né au Daghestan, Beterbiev a d'abord combattu pour son pays de naissance en boxe olympique. Double champion du monde en mi-lourds en 2009, double champion d'Europe (2006 et 2010), il est victime de l'arbitrage aux JO de Pékin contre le boxeur local et futur champion olympique Zhang Xiaoping et tombe sur un sacré os en 2012 en la personne d'Oleksandr Usyk qui l'avait déjà battu lors des Mondiaux de 2011.

Essoreur de sparring-partners

Passé chez les rémunérés dans la Belle Province, cornaqué à Montréal par le promoteur Yvon Michel dont la collaboration se terminera devant les tribunaux, Beterbiev débute en début de programme du combat Jean Pascal-Lucian Bute, perçu comme le premier événement pugilistique d'envergure au Canada depuis Roberto Durán-Sugar Ray Leonard en 1980.

Après 5 combats disputés en moins de 15 mois, Beterbiev a droit à un premier combat d'envergure. Au Bell Center, il éparpille en un peu plus d'un round Tavoris Cloud qui en a pourtant vu d'autres contre Bernard Hopkins (défaite sur décision unanime) et Adonis Stevenson (défaite par abandon à l'annonce de la 7e reprise) mais qui a vu sa mâchoire se briser dès les premières secondes du combat. 

Après les ceintures continentales nord-américaines, Beterbiev accède à une chance mondiale pour son 12e combat contre Enrico Kölling. L'Allemand réalise l'exploit d'aller jusqu'à l'appel de la 12e reprise mais tombe à son tour avant la limite... quand son adversaire, rassuré de voir qu'il peut tenir physiquement aussi longtemps, décide de vraiment lâcher ses coups devant un public américain qui le voyait pour la première fois.

Depuis 2017, Beterbiev est le détenteur de la ceinture IBF. Il a ajouté en 2019 celle de la WBC après un succès contre l'Ukrainien Oleksandr Gvozdyk (KO10) puis en juin dernier la WBO après une victoire expéditive contre Joe Smith Jr (KO2) qui avait à son tableau de chasse B-Hop et Andrej Fonfara. 

Beterbiev est craint et préparer un combat n'est pas simple pour lui pour une très bonne raison : il frappe trop fort. Après sa victoire contre Marcus Browne (KO9) en décembre 2021, son co-entraîneur John Scully expliquait à Boxing Talk combien il était difficile de lui trouver de l'opposition : "c'est difficile de lui trouver des sparring partners et il y a des gars qui n'ont même pas envie de s'entraîner avec lui. Il y a beaucoup moins de candidats qu'il y a quelques années, c'est la réalité". Et même des boxeurs de la trempe de Dan Azeez, invaincu en 18 combats (12 KO) et champion de Grande-Bretagne, ou Chad Dawson, qui fut champion du monde des mi-lourds en épinglant notamment Antonio Tarver et "The Executionner" Hopkins, ont souffert comme jamais, allant jusqu'à confier n'avoir jamais croisé les gants contre un tel frappeur. 

Yarde, pas qu'un boxeur bodybuildé

Samedi, dans le ring de la Wembley Arena, le Londonien Anthony Yarde, 31 ans, sera outsider, le challenger obligatoire désigné par la WBO. Pourtant, lui aussi est un gros puncheur avec 22 KO infigés lors de ses 23 victoires. Mais lui a déjà perdu, deux fois. Son premier revers remonte à août 2019 quand il a disputé une ceinture mondiale contre Sergey Kovalev. Le "Krusher", battu en boxe olympique en 2007 par Beterbiev pour le titre de champion de Russie, l'avait emporté grâce à un KO à la 11e reprise. Depuis, Yarde a subi un revers contre Lyndon ArthurLyndon Arthur (décision partagée) en décembre 2020 avant de remporter la revanche un an plus tard (KO4).

Alors que vaut "The Beast from the East" au moment d'affronter un grand nom de la boxe actuelle ? "Le combat contre Kovalev remonte à près de 4 ans, plaide-t-il. La situation est complètement différente. Je suis une personne totalement différente, à tous les niveaux. J'ai mûri, je me sens fantastiquement bien". 

Ce combat contre Kovalev a servi aussi à son entraîneur. En début de semaine, Tunde Ajayi est revenu sur sa propre gestion du combat disputé au fin fond de l'Oural : "Anthony m'a félicité aujourd'hui parce qu'il a dit que je suis différent dans mon énergie et qu'il s'en nourrit. Auparavant, je sentais que j'avais besoin de parler, d'être entendu. Anthony n'avait pas le respect qu'il méritait et j'étais vraiment son porte-parole. Avec le recul, je vois à quel point Buddy McGirt (le coach de Kovalev) était calme et cool. Il n'était même pas là lors de la conférence de presse mais dans la foule. Je me souviens l'avoir regardé en pensant : "tu es censé être ici pour défendre et parler de ton gars". Mais, encore une fois, c'était de l'expérience".

Dans un sondage publié par Boxing Scene, Yarde est donné perdant à 95%. Pour la boxeuse et analyste pour la BBC Hannah Rankin, "Yarde est trop souvent sous-estimé. Les gens pensent que Beterbiev le pulvérisera mais nous avons vu qu'il a du courage, de la détermination et qu'il est capable de véritables coups de génie. Une victoire de Yarde serait un gros bouleversement, mais il ne vient pas de nulle part, il a mérité cette place. Il est explosif et puissant des deux mains. C'est un bon combattant qui a été testé sur la scène mondiale. Ce n'est pas mission impossible".

Tout en rappelant que Beterbiev s'expose et a déjà été envoyé deux fois au tapis dans sa carrière, contre Jeff Page Jr et Callum Johnson, elle prend en considération l'évolution de la boxe de Yarde : "Il s'est amélioré depuis le combat de Kovalev. Il avance plus maintenant et attend moins son adversaire. Il met davantage le rythme par lui-même et cela montre sa confiance. Il a côtoyé de plus gros adversaires et il sait qu'il a du menton". 

Souvent qualifié de "boxeur bodybuilder", Yarde n'est pas déprécié par le clan de Beterbiev, à commencer par son coach Marc Ramsay : "c’est un gars qui a été très gâté par la nature, a-t-il détaillé au micro de Radio-Canada mardi. C’est un athlète au niveau d’habiletés très élevé. Il est rapide, il boxe bien, il est capable de contre-attaquer et de frapper avec force. Il a beaucoup de facettes. Il n’est pas un boxeur unidimensionnel". Avant de tempérer : "il y a plusieurs aspects à considérer et ça rend ma tâche un peu plus compliquée en tant qu’entraîneur. Mais comme on a pu le voir quand il a affronté Kovalev, ça devient plus compliqué pour lui si les choses se corsent. À Yarde de prouver qu’il a le cran qu’il faut".

Bivol ou Smith en ligne de mire

Managé par Top Rank et l'éternel Bob Arum (91 ans), Beterbiev voit plus loin que ce duel en terre anglaise. Mais il n'est pas dans ses habitudes de prendre ses combats, quels qu'ils soient, à la légère, surtout quand tout une salle sera contre lui. "Il est très réceptif à ce type d’énergie, ça le réveille, a expliqué Ramsay qui ne garde pas forcément d'excellents souvenirs du Royaume-Uni puisqu'il a connu la défaite avec Jean Pascal contre Carl Froch en 2008, Kevin Bizier contre Kell Brook en 2016 et Óscar Rivas contre Dillian Whyte en 2019. Ça le garde allumé et je pense que c’est plus une arme qu’un ennemi pour nous. Je lui ai montré des photos de l’Arena pour qu’il puisse visualiser les lieux. On prend connaissance de l’aspect environnemental, mais ce n’est pas quelque chose qui est majeur dans son jeu. On va tenir de petites réunions pour discuter de stratégie, mais sinon on va laisser Artur tranquille et bien concentré jusqu’à samedi (...). Il n’y a pas de grands discours, mais on échange l’info de façon brève". 

Mais cet affrontement contre Yarde ne doit-être qu'une mise en bouche pour qu'ait lieu le combat que tous les fans veulent : celui qui opposera Beterbiev à Dmitry Bivol. Le boxeur de l'année 2022 pour Ring Magazine a évoqué l'éventualité d'un affrontement après sa victoire contre Gilberto Ramírez en novembre dernier, même si un rematch contre Canelo Álvarez, cette fois en super-moyens, n'est pas à exclure. 

Vainqueur de Canelo Álvarez, Dmitry Bivol élu boxeur de l'année 2022

Pour le promoteur Eddie Hearn qui, fut un temps, a été celui du Canadien, le plan est sensiblement différent mais il est tout aussi alléchant : "Callum Smith doit boxer le vainqueur de Beterbiev-Yarde. Il a été désigné par la WBC".

A 38 ans, Beterbiev n'a plus vraiment le temps d'attendre alors que Bivol comme Smith affichent 6 ans de moins sur la balance. S'il évite le piège Yarde ce samedi soir, il aura droit au grand combat en Pay-Per-View qu'il mérite. Et ça promet sacrément.