Jonathan Edwards, parce qu'on n'appelle pas un triple sauteur "le goéland" par hasard
Quand il débarque à Göteborg pour les Championnats du monde en 1995, Jonathan Edwards est le favori. En début de saison, il a sorti des triple sauts faramineux au-delà des 18 mètres, mais non homologués pour cause de vent supérieur à la limite autorisé. Cependant, on le sent en plein apogée.
Et peu avant les Mondiaux, il fait enfin tomber le record du monde vieux de 10 ans en s'envolant à 17.98 mètres. C'est donc lui l'élu, celui qui brisera officiellement cette mythique barrière des 18 mètres. Mais la façon dont il va le faire va écrire sa légende et faire de lui "le goéland".
Car si les Mondiaux ont produit de grands moments, des concours légendaires, celui-là est très haut dans la liste. L'expression "tuer un concours" pourrait avoir été inventée pour celui-là. On l'attendait loin, mais pas aussi loin. Car il avait montré de telles aptitudes à la Coupe d'Europe en début de saison.
Trop de vent donc, mais 18.39 puis 18.43 mètres. Pas de record du monde donc, mais une telle impression de facilité. Peut-être même plus qu'en Suède. Car ses deux premiers bonds – le premier saut et la cloche – seront mesurés à 12.30 mètres, contre 11.70 à Göteborg. La plénitude de l'Anglais a certainement eue lieu à Villeneuve d'Ascq.
Mais c'est aux Championnats du monde, devant la terre entière, que l'on y assistera. Dès le premier saut, le public n'en revient pas : 18.16 mètres ! La barrière des 18 mètres est déjà tombée en un coup. Après un bond, il devance déjà son plus proche rival de 80 centimètres. Et pourtant, il y a de la concurrence.
Le champion olympique et du monde en titre Mike Conley, l'école cubaine avec Yoelbi Quesada et Yoel Garcia, le champion du monde en salle Brian Wellman. Tous se préparent à tenter de rétorquer à la première salve britannique. Alors, le goéland va couper court, et comment. 18.29 mètres, deux sauts et le concours est terminé. Il va s'imposer avec 67 centimètres d'avance sur son plus proche dauphin !
Plus que les chiffres, c'est l'impression qui est choquante. Une telle facilité, une telle élégance. On le croit monté sur ressorts. Son sourire angélique, la conscience de ce qu'il vient d'accomplir. Le fait qu'il soit croyant – ce qui lui avait coûté une participation aux Mondiaux 1991, puisqu'il refusait de concourir le dimanche. Ce surnom légendaire qui lui va tellement bien. Et surtout le fait que presque 30 ans après, personne n'a réussi à faire mieux, tant dans les chiffres que dans l'attitude.
C'est un tout qui forme un athlète. Et toutes les composantes de Jonathan Edwards l'ont rendu éminemment sympathique. Certes, il lui faudra attendre Sydney pour rafler l'or olympique, mais le goéland – surnom mérité et hérité du fameux livre de Richard Bach –, a connu son jour de gloire en Suède. Certains marquent l'histoire par un palmarès exceptionnel et une longévité hors du commun. Et d'autres n'ont besoin que de deux sauts.