Ce n'est pas la Liga qui a baissé de niveau, c'est le Real Madrid
Le problème quand ce sont les scenarios plus que le fond de jeu qui triomphent, c'est que le jour où rien ne va, les défaites sont plus lourdes et plus marquantes. Mercredi soir sur la pelouse de l'Etihad Stadium, le Real Madrid a exposé toutes ses lacunes. Elles ne datent pas d'hier et ne se cantonnent pas aux limites du terrain. Mais par facilité, par refus d'analyser les raisons de cette déroute, LaLiga est sur le banc des accusés. Classique.
Faites entrer l'accusée
LaLiga est désignée coupable. La ficelle est grosse mais l'argumentation demeure fragile. En premier lieu, le Real Madrid a remporté le titre domestique et la Ligue des champions la saison dernière et on ne peut pas dire que la saison 2021-2022 restera dans les mémoires entre la fin catastrophique de l'ère Ronald Koeman au FC Barcelone en novembre 2021 et un Atlético de Madrid absolument incapable de renouveler ses performances de l'exercice précédent. Une victoire à la Pyrrhus en somme.
Par ailleurs, le Real Madrid dominerait LaLiga cette saison avec une facilité déconcertante, une telle affirmation serait peut-être un peu plus légitime. Or, il est devancé de 14 points à 4 journées de la fin par un Barça sérieux mais loin d'être irrésistible. D'ailleurs, quand les Culés sont éliminés en Ligue des champions (avec le Bayern et l'Inter futur finaliste dans leur groupe) et en Ligue Europa par Manchester United "l'excuse" du niveau de LaLiga n'existe pas (c'est à peine si l'explication du nombre de blessures a été tolérée), tout comme ce fut le cas pour les Colchoneros et le Séville FC (qui a d'ailleurs étrillé MU par la suite en C3 sans que le niveau de la Premier League n'a été remis en cause).
La scène domestique a en revanche le mérite d'exposer le véritable niveau du Real Madrid cette saison. Et les failles aperçues en championnat ont été visibles en Ligue des champions. La claque était prévisible à plus d'un titre. Quand on est le Real Madrid, rien ne justifie un retard de 14 points sur le FC Barcelone et un titre validé dès la 34e journée. La finale de la SuperCoupe d'Espagne, disputée sur un rythme élevé, a été perdue dans les grandes largeurs, preuve que quelque chose se tramait depuis plusieurs semaines. La sensation s'est répétée lors du Clásico retour : il aurait pu basculer pour les Vikingos mais Marco Asensio a été signalé hors-jeu pour quelques centimètres. Comme si la réussite les avait fuis cette fois-ci. La victoire au Camp Nou en Coupe (4-0) a, elle, montré l'importance de Thibaut Courtois (il sort une parade immense face à Robert Lewandowski) et les fulgurances (le contre qui a suivi la parade et fait basculer le sort de la 1/2 finale).
Casemiro, un seul être vous manque...
La victoire en Ligue des champions avec des renversements de situations rocambolesques a été analysée comme une règle alors qu'elle était une exception. Le jeu merengue a finalement très peu changé d'une saison à l'autre. Simplement, les ressorts des succès passés se sont distendus et, au vu de la saison, cette humiliation en terre citizen n'est pas si surprenante.
Les qualités mentales incomparables ont été un miroir déformant de bon nombre de copies rendues. Les individualités ont trop souvent caché les difficultés collectives, notamment défensives. La planification sportive est catastrophique depuis plusieurs années, le départ de Casemiro a évidemment eu des conséquences énormes. Les blessures, les repositionnements contraints (à l'image d'Eduardo Camavinga), l'absence de rotation spécifiquement en attaque et les circuits de passes qui menaient quasiment tous à Vinicius Jr (la plus grande réussite de Carlo Ancelotti) ont exposé le manque de cohérence du recrutement. Comme habituellement, Courtois a fait des miracles, à la différence près que cette année, ils n'ont pas suffi pour sauver les apparences.
Mercredi, l'essentiel des joueurs a fait son âge, dans un sens comme dans l'autre. Les vieux ont fait trop vieux et les jeunes trop jeunes. À l'image d'une société sans classe moyenne, le Real Madrid n'a pas eu dans ses rangs suffisamment d'éléments aguerris et d'un âge intermédiaire pour tenir sur la distance. Au talent, cela suffit contre un Liverpool en perdition en février et un Chelsea complètement à la cave. Mais contre Manchester City, comme en 1/8 de finale en 2020, et comme l'année dernière jusqu'à la 89e minute du match retour, sur le plan du jeu, le Real Madrid n'a pas le niveau sur deux matches. Contre le PSG pendant 90+60 minutes, il n'avait déjà pas existé. Contre Chelsea ensuite, c'était sur courant alternatif. Cette irrégularité était passée inaperçue dans l'émotion inhérente à ce genre de remontadas fabuleuses, mais elle était déjà très présente. Cette série de succès a d'ailleurs créé un sentiment diffus chez ses rivaux qu'avec rien, cette équipe peut tout. C'est une performance notoire et admirable mais le colosse avait des pieds d'argile.
Le Real Madrid ne s'intéresse pas à LaLiga
En réalité, la victoire de la saison dernière était beaucoup plus imprévisible que la raclée mancunienne. Le Real Madrid joue au mental et au physique. Ce sont ses deux meilleures armes et, déjà à l'époque du triplé avec Zinedine Zidane, c'était le côté machinal implacable qui suscitait l'admiration, cette abnégation absolue qui renversait des situations compromises. Or pour y parvenir, il faut au moins avoir du répondant.
Parce que le Real Madrid a toujours privilégié, avec une réussite incontestable, le but au chemin, le gadin arrive seulement en 1/2 finale. Une élimination plus précoce ne lui aurait pas garanti la conquête du titre liguero. Le dernier doublé en championnat remonte à 2008 et depuis le club n'a remporté que 4 fois LaLiga dont celle, particulière, de la pandémie. Avant cette saison, la dernière victoire en Copa del Rey remontait à 2014. La Casa Blanca mise l'essentiel de saison sur la Ligue des champions, avec tout ce que cela peut apporter de gloire et de déception. Mais si elle n'a pas de continuité en Espagne, c'est essentiellement sa responsabilité et pas celle de LaLiga. Et si celle-ci est accusée de perdre de sa valeur, c'est en grande partie parce que, précisément, le Real Madrid n'est pas au niveau requis sur la durée.