INEOS Grenadiers envoie une armada au Tour d'Italie, mais en pure perte ?
Sur un plan purement théorique, INEOS-Grenadiers présente cinq des 13 coureurs les mieux placés au classement UCI au départ sur ce Tour d'Italie : Filippo Ganna, Tao Geoghegan Hart, Geraint Thomas, Thymen Arensman et Pavel Sivakov. Ils seront accompagnés de Laurens De Plus, Salvatore Puccio et Ben Swift. On a donc deux anciens vainqueurs de Grands Tours (Geoghegan Hart et Thomas), un coureur à domicile en pleine forme cette saison (Ganna), un qui clame vouloir des responsabilités (Sivakov) et un jeune espoir prêt à éclore (Arensman).
Suffisant pour exister face au duo Primoz Roglic - Remco Evenepoel ? En regardant cette formation, on se demande clairement qui est le leader désigné, où seulement s'il y en a un. Si l'on est rationnels, Tao Geoghegan Hart doit être celui-là. Il a remporté cette épreuve en 2020, et est en grande forme en ce début de saison (vainqueur du Tour des Alpes, 3e de Tirreno-Adriatico). Néanmoins, pas sûr que la formation arrive à un consensus.
Car Filippo Ganna est à la maison et arrive sur la lancée d'une superbe campagne de classiques (2e de Milan-San Remo, 6e de Paris-Roubaix). Il est en net progrès pour tenir la distance, est le meilleur contre-la-montre (il y en aura trois sur ce Giro), et veut clairement passer au niveau supérieur.
Mais quid de Geraint Thomas ? On n'écarte pas comme ça un vainqueur de Tour de France. Certes, c'était en 2018, mais il était encore sur le podium de la Grande Boucle l'été dernier. Et il est clairement le plus expérimenté et le plus complet des trois. Reste bien sûr l'inconnue de son état de forme, mais il était de base clairement annoncé que c'était son objectif.
Quant à Sivakov et Arensman, ils ont des profils similaires, bons en montagne, résistants, mais leur forme est incertaine. Et tout le monde ne pourra pas être protégé. On imagine mal INEOS leur accorder des bons de sorties pour aller prendre des échappées, il va falloir sans doute travailler. Mais qui va le faire ?
La Vuelta 2022 comme comparatif
L'histoire récente d'INEOS ne dit pas que du bien dans ce domaine. Certes, il faut rappeler que la formation britannique a remporté le Giro en 2020 et 2021. Mais la première fois, Geraint Thomas était le leader désigné et avait abandonné dès la quatrième étape. Tao Geoghegan Hart a alors eu le champ libre, puisque Ganna n'avait pas l'aura qu'il possède aujourd'hui.
Et en 2021, il n'y avait aucun débat : Egan Bernal était le leader incontestable, et l'a prouvé avec aisance. On passera sous silence l'édition 2022, que Richard Carapaz aurait dû remporter, mais là encore, il était n°1 clair. Et pour voir un exemple d'échec quand le leader n'est pas évident, pas besoin de remonter bien loin, il suffit d'aller voir du côté du dernier Grand Tour disputé : la Vuelta 2022.
Au départ ? Richard Carapaz, Tao Geoghegan Hart, Pavel Sivakov et Carlos Rodriguez. Qui est le leader ? Sur le vécu et l'expérience, Carapaz, indiscutablement. Mais en y réfléchissant, l'Équatorien était sur le départ après avoir refusé de prolonger, et on se demande si son équipe n'a pas voulu le punir en lui faisant disputer un deuxième Grand Tour dans la même saison. Certes, il terminera dans le Top 15, remportera trois étapes et le maillot de meilleur grimpeur. Mais c'est uniquement parce qu'il n'était plus dangereux après avoir concédé 15 minutes sur la tête dès la première semaine.
Bombardé leader de fortune, Carlos Rodriguez a fait ce qu'il a pu, et plutôt bien, restant longtemps en course pour un podium avant de terminer à une honorable septième place. Et s'il avait été propulsé leader plus tôt, et avec le soutien d'une équipe soudée, il aurait sans doute pu aller le chercher, le podium. Ce genre de scénario est largement envisageable sur ce Giro.
Renverser la tendance
Et c'est là qu'on se demande quel est le réel objectif de la formation INEOS. Car ils ne possèdent pas un coureur de la dimension de Roglic ou Evenepoel. On voit mal comment un de leurs membres pourrait tenir la dragée haute. La réponse doit donc être collective. Mais elle doit surtout être offensive.
Car c'est bien là le principal avantage d'une composition telle que celle-ci : la possibilité de mettre le feu aux poudres. Suivre le duo infernal en espérant une défaillance, ce n'est pas une stratégie. Sauf si la formation admet sa défaite sans se battre, et assume courir pour la troisième place. Ce qui poserait une seule question : pourquoi ?
Car INEOS-Grenadiers, anciennement Sky, est une équipe de Grands Tours. Depuis sa création en 2010, c'est 11 succès dans l'exercice, et 6 podiums. Mais voilà, la formation britannique n'a pas de Pogacar, de Roglic, de Vingegaard, d'Evenepoel. Ces coureurs archi-favoris dès qu'ils sont au départ. Il y a toujours Bernal, mais retrouvera-t-il un jour son niveau ?
Parfois, les Grands Tours peuvent être ennuyeux. Les équipes de favoris cadenassent la course, l'explication entre cadors doit attendre la flamme rouge, les surprises sont maigres. Mais avec une telle artillerie, INEOS a clairement de quoi enflammer le Giro. Après le printemps de classiques que l'on a vécu, il serait décevant de retomber sur un Tour d'Italie planplan, comme les Tours de France de Froome... époque Sky. À INEOS de montrer qu'elle veut figurer dans le cyclisme moderne.