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La Flèche Wallonne 1994, symbole des années folles de la Gewiss et du dopage

Sébastien Gente
Argentin - Furlan - Berzin, l'un des triplés les plus sulfureux du cyclisme.
Argentin - Furlan - Berzin, l'un des triplés les plus sulfureux du cyclisme. DeRosa.it
Parmi les courses les plus convoitées de la saison, la Flèche Wallonne se joue souvent dans l'ascension finale du Mur de Huy. Mais il fut un temps où des équipes faisaient exploser la course avant, une période des années 90 connue de tous, dans laquelle le triplé de la Gewiss sur la Flèche Wallonne 1994 reste un paroxysme.

Récemment, on a vu Wout Van Aert offrir la classique Gand-Wevelgem à Christophe Laporte, après que les deux coéquipiers se soient échappés vers la victoire, laminant le peloton en duo. Une arrivée qui a ému, notamment du côté français, mais qui a aussi renvoyé à certaines images glorieuses d'archi-domination d'une équipe.

L'exemple qui reste le plus dans les mémoires, c'est le triplé de la Mapei sur Paris-Roubaix 1996, quand la direction de l'équipe avait choisi parmi les trois Johan Museeuw comme vainqueur. Mais il en est un autre qui représente parfaitement cette époque. La Flèche Wallonne 1994, quand la Gewiss avait marché sur la course et réalisé un improbable triplé qui sent le soufre presque 30 ans après.

1994, l'année Gewiss

Moreno Argentin est l'un des plus grands coureurs de classiques de la fin du XXe siècle. Il a été champion du monde sur route, et a raflé trois des cinq Monuments du cyclisme, remportant notamment quatre fois Liège-Bastogne-Liège. En 1994, il s'apprête à prendre sa retraite, et s'offre une dernière campagne de classiques pour le plaisir.

Il faut dire que le "Maestro" est sur la pente descendante, n'ayant plus remporté de classique d'envergure depuis 1991. Mais en 1993, il a rejoint Mecair-Ballan, qui deviendra Gewiss-Ballan l'année suivante. Une équipe qui va défrayer la chronique, notamment à cause de son médecin, un certain Michele Ferrari

Dès l'arrivée de Gewiss comme premier sponsor et avec Ferrari aux manettes, la formation italienne va ridiculiser la concurrence. L'année 1994 est sous le signe des Ciel et Blanc, avec un palmarès plus qu'incroyable : le Tour d'Italie avec quatre victoires d'étape, tout comme sur le Tour de France avec une deuxième place finale, trois Monuments (Milan-San Remo, Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie), le Critérium International, Tirreno-Adriatico. Et la Flèche Wallonne donc.

Une démonstration

Une édition incroyable de par son déroulement. Il est rare que l'on connaisse le vainqueur de la course avant la dernière ascension du Mur de Huy. Un cauchemar qui ne s'appelle pas Mur pour rien. 1.3 km avec des pourcentages maximaux à 26%, de quoi calmer n'importe quel coureur cycliste. Mais la surprise est moindre, puisque tout le monde l'escalade une fois au préalable sur le parcours, à une soixantaine de kilomètres de l'arrivée.

Et ce 20 avril 1994, c'est justement dans la première ascension du Mur que la Gewiss va faire exploser la course. Inimaginable tant lancer les hostilités dans la principale difficulté ne semble pas "naturel". La formation italienne n'en a cure, et un certain Evgueni Berzin, qui remportera le Giro le mois suivant alors qu'il n'avait aucune référence sur les Grands Tours, embraye dans les forts pourcentages et emmène dans son sillage Giorgio Furlan et donc Moreno Argentin. Après la course, Laurent Madouas aura ces mots au sujet de Berzin : "J’ai cru voir passer un avion à réaction…"

Plus personne ne les reverra. Le trio colle déjà une vingtaines de secondes au reste du peloton dans cette première montée, et s'en va creuser l'écart sur le reste du parcours. Pourtant, il y a des grands noms derrière, avec des équipes capables de rouler fort sur un groupe d'échappés. Johan Museeuw, Claudio Chiappucci, Gianni Bugno par exemple. Mais personne ne parviendra, malgré des efforts conjoints, à faire jeu égal avec ce trio infernal.

La course est gagnée au pied de la dernière montée. Berzin plie sous le poids du travail accompli, et arrivera une vingtaine de secondes après les autres. Furlan emmène Argentin, qui s'en va lever les bras comme une récompense pour sa grande carrière. ll semble que là aussi, l'équipe ait choisi le vainqueur, même si cela n'a pas transpiré comme à Roubaix. La concurrence arrivera plus d'une minute après.

Outre ce résultat, c'est la manière qui a interpellé les fans de vélo. La facilité avec laquelle le groupe de trois s'est envolée dans la première ascension du Mur de Huy a totalement ruiné la course. À l'époque, on avait déjà du mal à se faire à la suprématie de Miguel Indurain sur le Tour, alors toute une équipe qui écrase le reste, cela a du mal à passer. Et cela a en outre déroulé le tapis rouge pour qu'on considère comme scandaleux Roubaix 1996.

Ferrari le manitou

Jamais au grand jamais, la Gewiss ne connaîtra un succès comme en 1994. Il y aura bien un autre Milan-San Remo, une Amstel Gold Race et quelques succès d'étape sur les grands Tours, mais jamais avec une telle impression de domination. TOUS les coureurs de la Gewiss étaient au-dessus du lot en 1994. 

C'est là qu'apparaît un terme qui restera célèbre : Érythropoïétine, plus connue sous le nom d'EPO. Une substance que Michele Ferrari admet utiliser dans la préparation de ses coureurs. Mais nie sa dangerosité, notamment lors d'une interview reprise par L'Équipe peu après la Flèche Wallonne qui restera célèbre. 

"L'EPO n'est pas dangereuse, c'est son abus qui l'est. Utiliser de l'EPO n'est pas plus dangereux que de boire 10 litres de jus d'orange. Si un coureur l’utilise, ça ne me scandalise pas"

Après tout, pourquoi s'embêter, il n'a fait que suivre le règlement.

"Tous les produits qui ne sont pas interdits par le règlement sont donc autorisés. Si j’étais coureurs et si je connaissais l’existence d’un produit non détectable et capable d’augmenter la performance, je l’utiliserais."

Et selon lui, on s'est beaucoup focalisé sur l'EPO et la préparation sanguine entre autres, alors qu'il y avait une véritable explication matérielle au triomphe de ses ouailles.

"Les coureurs de la Gewiss ont utilisé des roues qui font gagner deux secondes par kilomètre. Et ça, personne n’en parle."

Quelques années plus tard, il sera révélé que Ferrari conseillait de nombreux coureurs cyclistes dans les années 1990, et notamment un certain Lance Armstrong. Michele Ferrari et son mentor Francesco Conconi resteront ceux qui ont fait entrer l'EPO dans le cyclisme professionnel. La Gewiss, elle, disparaitra officiellement en 1997 après avoir changé de sponsor. Soit avant l'affaire Festina, et tout ce que l'on a connu depuis en matière de dopage et scandales. En ayant marqué son époque, à sa façon. Argentin, lui, a gagné une troisième Flèche Wallonne ce jour-là, mais a sans doute perdu son âme. 

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