Paris-Roubaix, le moyen pour la Soudal-Quick-Step de sauver sa campagne de classiques ?
Sur un plan strictement comptable, si la Soudal-Quick-Step a déjà gagné en World Tour en 2023, la campagne des classiques flandriennes est forcément un moment très attendu par la formation belge. Et jusqu'ici, c'est un désastre. Sur les quatre classiques World Tour - Classic Bruges De Panne, Grand Prix E3, À Travers La Flandre et bien sûr le Tour des Flandres, seul Yves Lampaert est monté sur le podium de la première (3e). Et même sur les semi-classiques ProSeries, il n'y a que la victoire de Tim Merlier sur le Nokere Koerse qui adoucit à peine la note.
Le Wolfpack n'est plus le monstre sacré d'il y a deux trois ans. Les désillusions se succèdent aussi vite que les déclarations tapageuses de son grand manitou, Patrick Lefevere. Avant Paris-Roubaix, la pression est immense, mais on craint que la disette ne se poursuive.
Remco cache la fôret
Certes, la Soudal possède en ses rangs Remco Evenepoel, et c'est déjà en soi une formidable raison d'être heureux. Le génie belge est champion du monde, tenant de Liège-Bastogne-Liège, entre autres choses, et s'est même offert un Grand Tour l'an dernier. Mais l'essence même de la formation belge, ce sont les classiques, et en particulier les Flandriennes.
Or, pour l'instant, c'est parti pour un fiasco. Certains argueront que le Wolfpack n'a ni Wout Van Aert, ni Mathieu van der Poel, ni Tadej Pogacar dans son équipe, et ne part donc pas favori. Ce qui n'est pas faux, intrinsèquement. Seulement, ce n'est pas une excuse.
Car sur le papier, la Soudal-Quick-Step disposait d'une sacrée puissance de feu. Kasper Asgreen, vainqueur en 2021, Yves Lampaert, spécialiste des Flandriennes, Tim Merlier, Florian Sénéchal et bien entendu Julian Alaphilippe. Pourtant, aucune réelle stratégie. C'est bien d'avoir plusieurs cartes, encore faut-il les mettre dans le bon ordre.
Kasper Asgreen s'est glissé dans le groupe d'outsiders mené par Mads Pedersen. Il semblait en forme, bien revenu sur l'épreuve qui l'a révélé. Il terminera dans le Top 10, à la 7e place, et sans qu'on ait un seul instant cru en ses chances de victoires. Mais surtout, il est le seul de son équipe dans le Top 40 de la course !
Jamais le Wolfpack n'aura pesé un seul instant sur le Ronde. Et l'on peut craindre qu'il en soit de même à Paris-Roubaix.
Aucune chance sur l'Enfer du Nord ?
Car on peut d'ores et déjà se poser une question : la Soudal-Quick-Step va-t-elle courir pour gagner dimanche ? Sur le papier, sa meilleure carte se nomme Yves Lampaert. 3e en 2019, le Belge a déjà fait quatre fois Top 10 sur "L'Enfer du Nord", et aurait même pu viser un nouveau podium l'an dernier sans une chute provoquée par un spectateur. Mais alors qu'il fêtera ses 32 ans au lendemain de l'édition 2023, il n'est pas certain que sa formation parie sur lui.
Mais qui alors ? Florian Sénéchal a le profil, mais et pour l'instant transparent en 2023, avec une 22e place comme meilleur résultat. Asgreen n'a jamais brillé à Roubaix, sa 44e place de l'an dernier étant son meilleur résultat. Tim Merlier n'est pas qu'un sprinter, puisqu'il a déjà brillé sur des courses pavées, et est sans doute l'un des (le?) plus rapide des coureurs présents. De quoi tout axer sur lui ?
Mais plus que les noms, c'est la tactique qui pose question. La Soudal ne possède pas un des grands favoris théoriques ? Alors il faut tenter autre chose. Or, la plupart du temps cette saison, le Wolfpack subit la course, et si vous ne mettez pas les favoris en difficulté, ce n'est pas la peine d'espérer s'imposer. C'est aussi simple que cela.
Alors certes, la Soudal-Quick-Step est sans doute moins bien armée, et dépassée par la Jumbo-Visma comme formation n°1 sur les classiques. Si l'équipe néerlandaise n'a pas brillé sur le Tour des Flandres, elle a raflé quatre des six classiques World Tour flandriennes avec trois coureurs différents victorieux. Ce qui nous emmène vers le point suivant.
Où est passée l'ambition ?
Comment la Quick-Step a-t-elle pu échouer à signer par exemple un Dylan van Baarle ? Le Néerlandais est le tenant du titre à Paris-Roubaix - qu'il a remporté sous les couleurs d'INEOS-Grenadiers - et aurait fait un renfort de choix. Pourtant, il a préféré signer chez Jumbo - et ce malgré la concurrence de Wout Van Aert et Christophe Laporte - que dans la formation de Patrick Lefevere. Pas envie de traiter avec le directeur sportif jamais avare d'un bon mot ?
Déjà l'an dernier, la campagne des Flandriennes avait été désastreuse. Une victoire sur Kuurne-Bruxelles-Kuurne et c'est pratiquement tout. On s'attendait à un mercato de grande qualité pour corriger cet état de fait. Pourtant, la principale recrue était Merlier, remplaçant le départ de Cavendish et relançant le débat sur qui est le meilleur sprinter de l'équipe entre lui et Fabio Jakobsen. Avec Jan Hirt pour épauler Remco sur les Grand Tours.
Et c'est tout. van Baarle a préféré être n°3 chez Jumbo, Quinten Hermans est allé se ranger dans l'ombre imposante de VDP chez Alpecin. Plus grand monde ne veut signer sur feu le monstre intouchable sur les classiques. La Soudal Quick-Step prépare-t-elle sa mutation en équipe de Grands Tours ? Ou Lefevere sait-il seulement où il va ?
Lefevere, alias la sulfateuse
Car le grand manitou de la Soudal-Quick-Step est assez paradoxal cette saison. D'un côté, il semble résigné sur le statut actuel de son équipe, comme il l'avait déclaré après le Het Nieuwsblaad au média belge Het Laatste Nieuws.
"On n’est plus les favoris sur les classiques. On a toujours été favoris mais ce n’est plus le cas. On doit donc comprendre comment s’y prendre dans cette nouvelle situation."
Et dans cette même interview, il ne s'est pas gêné pour torpiller un de ses éléments.
"Sénéchal est excusé, il a crevé juste avant le Molenberg mais où étaient les autres ? Lampaert était dans la presse toute la semaine mais on ne l’a pas vu une seule seconde dans la course. "
Et cette saison, sa victime préférée se nomme Julian Alaphilippe. Déjà en décembre, dans La Dernière Heure, il avait mis la pression.
"Je veux qu’il se reprenne. Il me doit une revanche. Julian a un salaire de champion mais il doit confirmer qu’il en est toujours un. Qu’il ne soit plus champion du monde, je m’en fiche, mais ces dernières années, il n’a pas gagné grand-chose. Oui, il a eu beaucoup de malchance, mais ce sont toujours les mêmes qui sont chanceux et les mêmes qui ont la poisse…"
Des propos qui ont surpris tout le monde, à commencer par le principal intéressé. Qui avait indiqué n'avoir jamais entendu son DS tenir ces propos en privé. De quoi faire enrager Lefevere chez Sporza.
"Alaphilippe dit que nous n’avons pas eu cette conversation mais nous l’avons eue. Sa femme et son agent étaient là. Je lui ai dit que je n’étais pas du tout satisfait. Je comprends ses maladies et ses chutes, mais il ne peut pas continuer à se cacher derrière ça. C’était la froide vérité. Je n’attaque pas les coureurs blessés mais s’il y a un prix élevé qui s’y rattache, je suis autorisé à réagir. L’année dernière, il a gagné 2 fois, les années précédentes 3 et 4 fois. Je ne l’ai pas pris dans l’équipe pour ça."
Et c'est dans DH Net que l'on apprenait que Lefevere avait proposé à "Alaf" de s'en aller cet hiver.
"Il a eu de la malchance, c’est vrai, mais on ne peut pas se cacher derrière cela trop longtemps. Je veux revoir le Julian d’il y a deux ans. J’ai eu une discussion franche et sincère avec lui et lui ai fait comprendre que s’il était fatigué d’un environnement dans lequel il évolue depuis ses 17 ans il pouvait nous quitter, mais il m’a dit vouloir rester dans l’équipe."
Peu de perspectives
Un cas symptômatique : Lefevere aime ses coureurs et les soutient, tant qu'ils gagnent. À la moindre baisse de régime, c'est l'heure de sortir la sulfateuse. Pas l'idéal pour attirer de gros poissons. Mais sa réputation est connue et reconnue, puisqu'il est à la tête de l'équipe depuis plus de 20 ans. Rien de neuf sous le soleil.
Surtout quand on se rappelle de la chute gravissime de Julian Alaphilippe sur Liège-Bastogne-Liège, couplée à un cas de Covid dès son retour, assortie d'une nouvelle chute sur la Vuelta qui a enterré ses espoirs de triplé aux Championnats du monde. Le tout alors qu'il était censé être sur pieds pour le Tour de France, un objectif absolument irréalisable (et irréalisé).
La fin d'une ère pour la Soudal-Quick-Step ? Peut-être. Remco Evenepoel est désomais le joyau et produit central de la fomation belge. Vainqueur de la Doyenne l'an dernier, il pourra briller sur les classiques, les Grands Tours, les courses à étape d'une semaine. Mais pas sur les Flandriennes. Ce n'est pas son terrain de jeu. Rien ne changera cet état de fait.
Et sans réel leader sur les courses de cet acabit, c'en sera fini de la réputation du Wolfpack. À moins bien sur de sortir du chapeau un nouveau leader. Mais l'équipe semble avoir perdu son pouvoir d'attraction. Certes, la saison globale n'est pas non plus à jeter, avec 17 succès tous niveaux confondus. Mais c'est sur les classiques qu'on attend les prouesses. Et à moins d'un miracle dimanche, ce ne sera pas pour cette année.