Ça ne tourne plus très rond à la Soudal-Quick Step : est-ce la fin du Wolfpack sur les classiques flandriennes ?
Rarement une équipe de Patrick Lefevere n'a semblé autant à la ramasse pendant la campagne des Flandriennes. Alors que le patron belge de la Soudal-Quick Step multiplie les "scuds" en direction de Julian Alaphilippe et son entourage proche, son équipe joue les utilités, très loin de la Visma-Lease a bike, d'Alpecin-Deceuninck, de la LIDL-Trek et d'UAE-Team Emirates.
La meute du Wolfpack ressemble à de gentils toutous, incapable de faire la course et de peser sur le cours des événements. Et on voit mal comment le Ronde pourrait inverser la tendance, même si Mads Pedersen, vainqueur de Gand-Wevelgem, ne sera pas en totale possession de ses moyens en raison d'une chute lors d'À Travers la Flandre en milieu de semaine qui a coûté une clavicule et bien des ambitions à Wout van Aert. "Pour moi aujourd'hui, les classiques flandriennes sont synonymes de souffrance", a concédé le Flamand dans une interview accordée à L'Équipe avant le Tour des Flandres.
Des victoires de second ordre
La formation belge a remporté 12 victoires cette saison, mais elles ne concernent que trois coureurs : le néophyte Paul Magnier, le sprinteur Tim Merlier et le crack Remco Evenepoel. Si on était taquin, on dirait qu'hormis la 8ᵉ étape de Paris-Nice remportée par le champion du monde 2022, il ne s'agit que de "coursettes". Sur le front des courses d'un jour disputées en Belgique, Merlier a remporté la Nokere, une course de seconde zone. Mais aujourd'hui, la Soudal-Quick Step peut-elle viser mieux ?
Sur Milan-San Remo, Alaphilippe a terminé 9ᵉ mais n'a pas eu les jambes pour espérer mieux. En Belgique, Yves Lampaert a terminé 21ᵉ du Het Nieuwsblaad et 27ᵉ de Kuurne-Bruxelles-Kuurne, Merlier a fait 8ᵉ de Gand-Wevelgem, largement battu dans le sprint pour la 3ᵉ place.
Jamais une équipe du big boss belge n'a été autant à la peine. Depuis 2004, la Quick Step et ses futures dénominations a remporté 9 fois le Ronde, la dernière en 2021 avec Kasper Asgreen, et 6 fois Paris-Roubaix dont 4 pour Tom Boonen et la dernière en 2019 avec Philippe Gilbert. Le recul est net sur les deux Monuments flandriens. De quoi être nostalgique au moment de se souvenir des coureurs qu'il avait à disposition à la Mapei puis à la Quick Step : "sans vouloir vexer mes coureurs d'aujourd'hui, c'était une autre génération. Je ne peux pas me voiler la face, Mathieu, Wout ou Tadej ne sont pas dans mon équipe, donc c'est compliqué comme ça l'était pour les autres quand j'avais Tom".
Evenepoel au centre, mais trop seul
À présent, l'essentiel des objectifs est concentré dans la même personne : Evenepoel. Ardennaises et courses à étapes (il sera au départ du Tour du Pays basque lundi) : voilà désormais l'alpha et l'omega de Lefevere qui compte bien profiter de l'émergence d'un talent surnaturel pour remettre son équipe sur la carte du Tour de France avec un effectif bâti sur mesure, ce qui n'avait pas été le cas pour Alaphilippe, 5ᵉ en 2019 sur un joli malentendu.
Evenepoel est double tenant de Liège-Bastogne-Liège, mais il délaisse totalement l'Amstel Gold Race qu'il n'a jamais disputée et la Flèche Wallonne (43ᵉ en 2022 pour son unique participation). En somme, il se consacre uniquement à la Doyenne lors du premier semestre. La conséquence directe est que la Soudal-Quick Step n'a plus rien à proposer ou presque et compte plus sur les circonstances pour jouer la gagne que sur ses propres capacités à faire la course comme ce fut traditionnellement le cas.
Jadis, elle venait pour la timbale; à présent, elle espère avoir de la réussite pour viser un Top 5. La concurrence est plus forte et trouver le successeur d'un Johan Museeuw n'est pas exactement la chose la plus facile, surtout quand les anciens de la boutique sont devenus des adversaires, comme Luca Guercilena, 10 ans de boîte avec Lefevere avant de diriger à présent la LIDL-Trek : "je ne vais pas me tirer une balle dans la tête parce qu'ils réussissent mieux que moi aujourd'hui".
La question en suspens reste de savoir si Lefevere est satisfait de son management, de son renoncement à l'ADN du Wolfpack qu'il a construit, car son changement de positionnement se réalise a minima, sans étoffer son équipe pour le Tour de France, le grand objectif d'Evenepoel qui veut s'imposer dès sa première participation. Or Mikel Landa, transfuge de l'hiver, et Jan Hirt ne peuvent assurer seuls les rôles de sherpas en haute montagne. Plus lucide que son patron, Evenepoel s'en est d'ailleurs bien rendu compte et a publiquement affirmé qu'il ne serait pas contre la présence d'Alaphilippe. Un camouflet pour Lefevere, doublé par le refus du Français qui a rappelé qu'il ne comptait pas doubler Giro-Tour.
Le crépuscule du plus emblématique des dirigeants sera-t-il davantage marqué par les déclarations intempestives que par les victoires ? À bientôt 70 ans, Lefevere pourrait réaliser une dernière volupté : détisser tout ce qu'il a mis près de 40 ans à bâtir. "J'aimerais vraiment laisser mon héritage à quelqu'un", martèle-t-il. Mais en donne-t-il seulement l'illusion ?