Courchevel 1997, la dernière fois où l'on a cru en Richard Virenque sans arrière-pensée
Luz-Ardiden 1994. Cauterets 1995. Le Mont Ventoux 2002. Saint-Flour 2004. La liste des exploits de Richard Virenque sur le Tour de France est aussi longue que celle de ses maillots à pois. Mais en 1997, cette étape entre le Bourg d'Oisans et Courchevel aura toujours une saveur particulière.
Pour le palmarès certes, mais aussi pour son aura. Malgré tout son talent et son équipe incroyablement dévouée, il a rejoué une scène intense dans la peau de David face au Goliath Jan Ullrich. Pour finalement le terrasser sans le terrasser et écrire pour de bon sa légende, avant les affaires et tout le reste.
Virenque contre un monstre
Car c'était bien le scénario écrit. À l'aube de cette avant-dernière étape alpestre, Virenque a plus de 6 minutes de retard sur son rival allemand, leader officiel de la terrible formation Telekom depuis sa 2e place de l'an passé, derrière un Bjarne Riis qui a vu son éclat s'en aller aussi vite qu'il était arrivé. Et l'Allemand avait de plus repris 40 secondes la veille dans la montée de l'Alpe d'Huez. Il semble insubmersible.
Que faire contre un tel monstre, alors que tous les médias dissertent sur "combien de Grandes Boucles Jan Ullrich va-t-il remporter ?", puisque l'Allemand n'a que 23 ans à l'époque - ironie du sort, il terminera 5 fois 2e, et 1997 sera son seul succès. Tout tenter bien évidemment. Mais cette fois, pas de raid solitaire à la Cauterets 1995. Virenque a une équipe et compte bien s'en servir lors de l'étape reine de cette édition.
Et c'est tout Festina qui va jeter ses forces dans la bataille, et sans attendre. Dès le col du Glandon, un beau morceau, Neil Stephens, Pascal Hervé, Laurent Dufaux, Laurent Brochard, tout le monde est au diapason et tout le monde y va de son relais. En haut du col, Jan Ullrich est toujours là mais n'a plus d'équipiers. Pire encore, l'Allemand se fait quelques frayeurs en descente – une de ses rares faiblesses –, et laisse filer Virenque, Dufaux, Hervé, Brochard et l'Italien Francesco Casagrande. 4 Festina devant, l'occasion est là.
Mais Ullrich, conscient de la situation, accepte de se relever et d'attendre un peloton où figurent quelques coéquipiers, dont Riis, mais aussi d'autres formations en quête de podium. Les équipiers de Richard Coeur de Lion commencent à fatiguer et le dernier d'entre eux, Laurent Dufaux, l'abandonne dans le mythique col de La Madeleine. La sanction est immédiate, Virenque est repris dans la descente.
Tout ce travail pour rien, pense-t-on alors. Mais le Français n'est pas du genre à renoncer sans avoir tout essayé. Dans la montée vers Courchevel, il repart à l'offensive. Il attaque et attaque encore. Un par un, tous ses rivaux craquent. Tous, sauf celui qu'il voulait absolument voir craquer : Jan Ullrich.
15 kilomètres de montée finale, 15 kilomètres où Virenque passera son temps à essayer de se débarrasser de son rival avant de finalement se résigner à quelques hectomètres de la ligne : l'Allemand est le plus fort, c'est indéniable. Il met ses dernières forces de côté pour aller chercher une victoire d'étape, pour valider le travail de ses coéquipiers, au terme d'un emballage bien mené. Il aura fait plier Jan Ullrich, mais pour rien. C'était sa dernière chance et il aura tout fait pour la saisir.
Ce que l'on ignorait à l'époque, c'est que cette étape allait représenter la dernière chance tout court de victoire dans la Grande Boucle. Déjà, après l'étape, la cote de sympathie de Virenque, élevée avant le départ du Tour, prend un boost énorme. Car il aura buté durant trois semaines sur un coureur semblant indestructible. Excellent en contre-la-montre, excellent en montagne, et ce, malgré un gabarit impressionnant (1.83 m), Jan Ullrich est le prototype même du coureur du futur. Un cyborg, en tout cas, c'est comme ça qu'il est considéré à l'époque.
Et dans un énième remake de l'homme contre la machine, l'homme n'en devient que plus sympathique et plus héroïque. Et dans le cas de Virenque, cela déclenche une vague de sympathie incommensurable. On peut même parler de "Virenque-Mania" à l'époque. Jalabert, Leblanc et les autres sont aux oubliettes dans le cœur des Français, il n'y en a que pour lui, et à chaque Tour, il n'en devient que plus sympathique.
Il a admis sa défaite, mais il a gagné l'étape, le maillot à pois pour la quatrième année consécutive. 3e en 1996, 2e en 1997, 1ᵉʳ en 1998 ? C'est écrit, il va le gagner. Et en pleine euphorie de la Coupe du monde des Bleus, tout le monde pense que "le succès appelle le succès". Jusqu'au contrôle routier de Willy Voet. Mais ça, c'est une autre histoire.