L'arrivée à Cauterets en 1995, entre l'exploit de Virenque et la chute mortelle de Casartelli
Ah, Richard Virenque ! Le roi du maillot à pois, le favori du public, le chouchou des Français (en tout cas jusqu'en 1998). S'il avait déjà remporté une étape à Luz-Ardiden en 1994, son véritable acte de naissance sur le Tour de France a eu lieu le 18 juillet 1995.
Mais c'est aussi ce jour-là qu'a été signé un acte de décès. Celui de Fabio Casartelli, coureur italien, champion olympique, promis a une belle carrière mais foudroyé dans la descente du Col de Portet d'Aspet. Une histoire qui fait fatalement écho à celle de Gino Mäder, et qui a entaché à jamais cette journée, définitivement particulière.
Et surtout pour Richard Virenque. Car le grimpeur a été hué par les supporters à l'arrivée, et notamment par les Italiens. En 1995, les oreillettes n'étaient qu'une chimère et le Varois n'était pas au courant du drame qui s'était noué plus tôt dans la journée. Son équipe savait, mais avait choisi de ne pas l'informer avant la fin de l'étape.
D'une joie incandescente sur la ligne d'arrivée, il est passé au masque au moment de grimper sur le podium. Difficile de lui en vouloir. Car il avait signé au préalable un véritable exploit. Il avait initié une échappée pour assurer définitivement son maillot à pois - le deuxième d'affilée - avec quelques grands noms de l'époque : Claudio Chiappucci notamment, Hernan Buenahora, Fernando Escartin. Des noms qui fleurent bon les années 90.
Mais à 120 kilomètres de l'arrivée, fini de blaguer : "Richard coeur de Lion" lance son cavalier seul. Il l'avait coché, cette étape reine. Portet d'Aspet, Menté, Peyresourde, Aspin, Tourmalet : tous les cols mythiques des Pyrénées étaient au programme. De quoi rafler un maillot à pois, donc, mais aussi prouver qui était le meilleur grimpeur - les deux n'ont pas toujours été compatibles.
Mais que ce serait-il passé si son équipe l'avait averti ? Aurait-il mis pied à terre ? C'eut été une réaction logique, tant le drame a marqué à l'époque. Dans la descente technique du Col de Portet d'Aspet, alors que le peloton allait former un grupetto typique des grandes étapes de montagne, puisque l'échappée était déjà partie, Fabio Casartelli, coéquipier chez Motorola d'un certain Lance Armstrong, a heurté un plot en béton. Une chute vécue en direct : ce 18 juillet 1995, France Télévisions avait renoncé à la traditionnelle émission franchouillarde de la mi-journée pour diffuser l'intégralité de l'étape.
L'affaire était grave, puisqu'il a été rapidement héliporté. Mais rien n'y fera. Ses coéquipiers et le peloton en général seront rapidement informés de la catastrophe, tout le monde terminera sur un rythme de sénateur, avant que l'étape du lendemain ne soit neutralisée. Pourtant, ce décès tragique est clairement passé au second plan à l'époque. Comme une péripétie.
L'Italien ne portait pas de casque, puisque ce n'était pas une obligation à l'époque. Naïvement, on a cru que l'Union Cycliste Internationale réagirait pour renforcer la sécurité des coureurs. Mais visiblement, un seul drame ne suffit pas. Il faudra attendre le décès d'Andrei Kivilev sur Paris-Nice en 2003 pour que l'instance ne rende obligatoire le port du casque sur toutes les courses. 8 ans de perdus. Et une vie.
Alors certes, plus aucun coureur n'a trouvé la mort sur les routes du Tour de France depuis. Mais cette histoire renvoie forcément à celle récente de Gino Mäder. L'Helvète a perdu la vie lors du récent Tour de Suisse, également après une chute en descente. Là encore, on attend de voir quelles dispositions prendra l'UCI. Mais c'est trop tard pour lui, comme pour Wouter Weylandt et tant d'autres.
Cette journée du 18 juillet, la plus inoubliable du Tour de France 1995 pour de nombreuses raisons, aurait dû rester dans l'histoire pour la performance incroyable de Richard Virenque et son entrée dans le gotha du vélo. Au lieu de ça, elle est associée à la mort. Et Cauterets aura mis 20 ans avant d'accueillir de nouveau une arrivée d'étape. Pire encore, la stèle dans le Portet d'Aspet est le seul souvenir de l'Italien. Ou comment tenter d'oublier l'inoubliable.