La dernière Grande Boucle de Thibaut Pinot, l'occasion de se rappeler du Tourmalet 2019
Thibaut Pinot. Le nom qui fait frémir tout le monde. Les puristes, les aficionados de la Petite Reine, les franchouillards qui ne regardent le vélo que trois semaines par an, la sphère médiatique. Un nom qui devient mythique au fur et à mesure que les années avancent.
Romain Bardet a été le plus régulier, Jean-Christophe Péraud est passé près, Christophe Moreau a eu sa chance, Julian Alaphilippe et Thomas Voeckler ont émerveillé l'espace d'une Grande Boucle. Pourtant, au XXIe siècle, c'est bien Pinot qui a hérité du titre de "coureur français passé le plus proche de succéder à Bernard Hinault". Et ce n'était pas lorsqu'il a terminé sur le podium en 2014.
Non, c'était lors d'une édition les plus ouvertes de ces dernières années. Le quadruple vainqueur Chris Froome est out, fauché par une fracture au Dauphiné. Mais Sky, devenu INEOS, a toujours le tenant Geraint Thomas et le grand espoir Egan Bernal. Pinot, lui, arrive à pas de loup. Sa saison est axée sur la Grande Boucle. Son Dauphiné convaincant (5e) fait de lui - comme souvent - un outsider de choix.
Mais alors qu'il est en forme en début de Tour (en vue à la Planche des Belles Filles, 2e à Saint-Étienne après un joli numéro), un premier coup du sort vient le frapper. Une banale étape de transition entre Saint-Flour et Albi, juste avant la première journée de repos. Mais pas pour tout le monde, puisque les Deceuninck-QuickStep du maillot jaune Julian Alaphilippe provoquent une bordure qui coûte 1 minute 39 à Pinot et quelques autres comme Richie Porte ou Jakob Fuglsang.
Heureusement, les Pyrénées vont lui donner l'occasion de se refaire la cerise. Il limite les pertes sur le contre-la-montre, puis passe à l'attaque le lendemain, le 20 juillet 2019, dans un décor et une étape légendaire.
Gaudu roule, Pinot transforme
Même pas 120 km, mais l'ascension du Col du Soulor, avant une arrivée qui s'annonçait mythique au sommet du légendaire Col du Tourmalet. Le point culminant de cette édition 2019. Une montée qui devait offrir du spectacle. Mais qui a offert en préambule une traditionnelle disasterclass des Movistar, qui ont effectué la majeure partie du travail en tête de peloton pour voir Nairo Quintana céder dès les premières pentes de l'ascension finale.
Pendant que Warren Barguil s'en va en tête, Thibaut Pinot sent bien que tout le monde est éprouvé. Alors, il sort une carte maîtresse : David Gaudu. L'espoir breton n'est justement qu'un espoir et il doit faire ses preuves. Il nous gratifie alors d'un relais d'anthologie, faisant péter quelques noms prestigieux : Porte, Bauke Mollema, Enric Mas, Rigoberto Uran, Dan Martin. Il peut ensuite mettre la flèche, le sentiment du travail bien fait dominant.
Mais ce travail de sape payera plus tard, l'effort breton ayant éreinté tout le monde dont Geraint Thomas qui craque subitement. Trop de dégâts ont été faits, Pinot ne peut pas ne pas en profiter. Alors qu'il a souvent été critiqué pour ne pas réussir à transformer les occasions qui s'offrent à lui - l'étape de Mende en 2015 revient alors en mémoire - cette fois, c'est pour lui.
Il accélère dans la dernière rampe, impose le tempo. Steven Kruijswik revient à sa hauteur, pour mieux voir Pinot le fusiller du regard et s'envoler. L'écart ne sera pas énorme, certes, mais à ce moment-là, non seulement il rafle une grande étape pyrénéenne pour la première fois, mais il comprend surtout qu'il a les jambes pour jouer la victoire finale.
La suite, malheureusement, on la connaît. Avant les deux grandes étapes alpestres, Pinot n'est qu'à 20 secondes d'Egan Bernal, devenu logiquement favori. Avant ces images inoubliables de "l'idole" fauchée par une déchirure musculaire qui devra abandoner dès le premier rendez-vous, après quelques kilomètres. En pleurs, soutenu par son fidèle William Bonnet, il monte finalement dans la voiture FDJ. C'est fini.
Une tragédie. En France, on aime les vainqueurs, mais on chérit par dessus tout les perdants magnifiques. Pas besoin de refaire le résumé de la carrière de Raymond Poulidor, infiniment plus populaire que Jacques Anquetil. Laurent Fignon n'a jamais eu autant eu d'estime que lorsqu'il a perdu pour 8 secondes contre Greg LeMond en 1989. Sans oublier bien sûr Richard Virenque.
Et c'est dans cette caste là qu'est alors entré Thibaut Pinot. Celle du mythe. Il pouvait, il devait renverser le Tour de France lors du dernier weekend. On y a cru, on y croit encore aujourd'hui, c'est dans chaque discussion de fan. À la question "quel sera le prochain français à gagner la Grande Boucle ?" la réponse "Si Pinot ne s'était pas blessé en 2019..." arrivera forcément.
Quatre ans après, Pinot va mettre fin à sa carrière en fin de saison et va conclure sa dixième Grande Boucle. Après un Tour d'Italie encore de grande qualité, il n'aura pas autant brillé que prévu. Mais cette course, ses scénarios, son appétit pour l'attaque, ont fait de lui le coureur français le plus populaire du XXIe siècle. Au point de déloger Richard Virenque. On a hâte de voir celui qui viendra remplacer Thibaut Pinot dans les coeurs des fans.