Épidémie de violence dans les stades : quand le football est pris d'assaut par les hooligans
Des scènes choquantes se sont déroulées en Turquie lundi soir à la fin du match nul 1-1 entre Ankaragücü et Rizespor, lorsque l'égalisation des visiteurs à la dernière minute (90ᵉ+7) a déclenché une vague de violence à l'encontre de l'arbitre Halil Umut Meler, qui a reçu un coup de poing au visage et a continué à recevoir des coups de pied lorsqu'il s'est écroulé au sol.
Des actes d'une extrême violence ont poussé la Fédération turque à prendre la décision de suspendre toutes les compétitions jusqu'à nouvel ordre.
"Ceux qui l'ont attaqué n'ont pas seulement attaqué l'arbitre, mais tous les acteurs du football turc. C'est une honte pour notre football ! Ne nous déshonorons pas dans le monde entier ! Nous avons pris toutes les dispositions nécessaires pour prendre les mesures qui s'imposent. Nous imposerons les sanctions nécessaires. Le club sera puni de la manière la plus radicale. Trop c'est trop ! Le football turc ne mérite pas cela !".
"Tous ceux qui ont critiqué les arbitres sont complices. Les présidents de club, les dirigeants, les entraîneurs, les joueurs, tous. Les arbitres sont humains, ils peuvent faire des erreurs. Mais nous ne pouvons pas les frapper avec nos poings et nos pieds", a déclaré Mehmet Buyukeksi, président de la Fédération turque de football.
Les événements en Turquie se sont produits le jour même où Athènes a annoncé que tous les matches de la première division grecque se joueraient à huis clos jusqu'au 12 février.
Violence et corruption endémiques en Grèce
Cette décision intervient quelques jours après qu'un policier grec a été grièvement blessé par un pétard lors d'un affrontement entre hooligans au Pirée, à l'occasion d'un match de volley-ball masculin entre l'Olympiakos Le Pirée et le Panathinaïkos d'Athènes, deux grands rivaux.
Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a exprimé sa "colère" sur son compte Facebook face à "l'attaque criminelle" dont a été victime le policier. Il a assuré qu'il "poursuivrait la lutte du gouvernement contre la violence dans le sport" et "contre tous ceux qui l'incitent ou la tolèrent".
La Grèce est l'un des pays les plus touchés par la violence dans le sport. L'année dernière, le gouvernement a augmenté la peine de prison maximale de six mois à cinq ans pour les auteurs de violences, mais n'a pas réussi à réduire le nombre d'incidents.
En outre, la décision de jouer les matchs sans spectateurs a été prise alors que les arbitres menaçaient de ne pas se rendre sur le terrain en raison des menaces de mort qu'ils recevaient constamment.
Au début du mois, le match de championnat entre l'Olympiakos Le Pirée et Volos a été interrompu pendant près d'une heure à la suite de violences entre les hooligans et la police. Les joueurs ont été contraints de quitter le terrain dans un nuage de gaz lacrymogène. S'estimant lésé par l'arbitrage, l'Olympiakos a accusé le football grec d'être dirigé par "une organisation criminelle".
Ce n'était pas la première fois que les dirigeants de l'Olympiakos lançaient de telles accusations. En avril, à l'occasion du derby contre l'AEK Athènes en barrage de la Super League grecque, après le coup de sifflet final du match, des dizaines de supporters locaux ont pénétré sur la pelouse du stade Georgios Karaiskakis, jetant des fumigènes et des chaises cassées. Ils ont été arrêtés par la police, tandis que les joueurs et le personnel de l'AEK se sont rendus aux vestiaires sous la protection des stadiers.
Quelques minutes plus tôt, le président de l'Olympiakos, Evangelos Marinakis, était descendu sur le terrain et avait agressé verbalement l'arbitre du match.
"Les fraudeurs et les escrocs ont montré qu'ils n'avaient aucun scrupule. Ils ont sifflé un penalty alors qu'il n'y avait pas eu de contact, sans même recourir à la VAR, alors qu'il y avait une faute évidente avant le but de l'AEK. Toute la Grèce est dégoûtée. Des escrocs et le gouvernement, incapable de s'occuper d'eux, ont tué le football", a dénoncé l'Olympiakos dans un communiqué.
La question a pris une ampleur internationale en août, lorsqu'un jeune Grec est décédé à la suite d'affrontements entre les supporters de l'AEK et du Dinamo Zagreb, deux équipes qui devaient disputer les éliminatoires de la Ligue des champions.
"Je pense qu'il est très important que l'UEFA joue un rôle plus actif dans les affaires du football grec… même si chaque fédération est indépendante", a déclaré à l'époque Giannis Alafouzos, un puissant homme d'affaires qui dirige le Panathinaïkos depuis 2012.
Il n'a pas non plus hésité à parler de la corruption endémique dans le football grec. "La corruption existe. La fédération n'a rien fait pendant des années. Si vous ne la forcez pas à s'occuper de la gestion du football, vous ne pourrez pas résoudre les problèmes", a-t-il déclaré à Reuters, citant les enquêtes menées ces dernières années sur les allégations de matchs truqués, les attaques violentes contre les arbitres et les officiels de match et ce qu'il a déclaré être des tentatives d'influencer la Fédération grecque de football.
Un supporter poignardé, un entraîneur défiguré
La situation n'est pas plus rose à l'autre bout du continent. À quelques mois du début des Jeux olympiques, la France est secouée par une vague de violence liée au football.
Fin octobre, Fabio Grosso, alors entraîneur de l'Olympique lyonnais, a été blessé après que le car de l'équipe qui se rendait au Stade Vélodrome, où devait se dérouler le match contre l'Olympique de Marseille, a été attaqué à coups de pierres.
"Nous ne devons pas attendre que quelque chose de pire se produise pour prendre des décisions importantes", a déclaré l'Italien lors de sa première conférence de presse après les incidents qui ont conduit à l'annulation du match.
"Ce qui s'est passé est inacceptable, on ne peut pas se remettre d'une chose pareille", a-t-il insisté, l'œil gauche encore gonflé et plusieurs plaies cachées sous le bonnet qu'il portait sur les yeux. "Je vais mieux, je vais me rétablir, mais il faut renforcer les mesures de sécurité pour que tout le monde se sente en sécurité."
Des avertissements tombés dans l'oreille de sourds, puisque les incidents de Marseille se sont avérés n'être qu'un prélude à une situation encore plus grave avant le match Nantes - Nice, lorsqu'un supporter de l'équipe locale a été poignardé par des supporters adverses et est décédé sur le coup.
Le ministère français de l'Intérieur a décidé d'interdire aux supporters étrangers d'assister à une série de matches nationaux et internationaux, une décision qui a affecté les supporters du Séville FC qui étaient prêts à encourager leur équipe lors du duel face à Lens en Ligue des champions.
"Il est tout simplement insensé d'interdire à 300 supporters d'aller soutenir leur équipe. Il est inacceptable de lâcher cette bombe tardivement", a déclaré à la presse le président de Séville, José Castro, dans un exemple clair de la façon dont les actes des hooligans peuvent affecter des supporters qui ne sont pas en faute.
"Je regrette cette décision, d'autant plus que l'information est arrivée tardivement", a également déclaré Franck Haise. "Comment allons-nous gérer les Jeux olympiques si nous ne pouvons pas accueillir 300 supporters Sévillans sur le sol français ? Il y a un gros problème."
Pas de supporters à l'extérieur
La décision de ne pas autoriser les supporters à l'extérieur n'est pas étrangère au football belge. Les matchs entre Anderlecht et le Standard de Liège se joueront sans supporters visiteurs dans les tribunes jusqu'à la fin de la saison 2024-2025 après de nombreux incidents ces derniers mois, ont annoncé les deux clubs phares du championnat belge lundi.
"Au cours des six dernières années, le Clasico belge a été interrompu à quatre reprises", ont expliqué les deux clubs, qui font régulièrement l'objet de sanctions de la part de la fédération belge (RBFA). Deux fois, le match n'a pas été repris.
"Ce qui aurait dû être un des grands moments du football belge s'est souvent avéré être une déception pour les amateurs de sport ces dernières années", ont déclaré les deux clubs, conscients qu'ils pénalisaient également les supporters de bonne foi.
Quelle est l'ampleur de la violence causée par le hooliganisme ?
C'est le titre d'une étude scientifique publiée en septembre dernier dans le Journal of Public Economics. Les auteurs ont analysé les trois premières ligues de football allemandes de 2011 à 2015, en essayant de déterminer l'ampleur de l'impact de la violence liée au football.
La conclusion est que les crimes violents augmentent de 17 % les jours de match, avec des coûts sociaux associés d'environ 58 millions d'euros par an, et atteignent 63 % les jours de derby. Les hommes âgés de 18 à 39 ans sont le plus souvent impliqués.
L'étude montre également qu'un match à domicile augmente le nombre d'agressions simples d'environ 13 % et que les agressions graves causant des dommages corporels importants augmentent de 25 % les jours de match. Les agressions violentes contre des policiers augmentent également de 91 % les jours de match et représentent 21 % de toutes les agressions causées par les matches de football.
Mais quelles sont les causes de ces agressions ? Les auteurs de l'étude ont conclu que ce ne sont pas les circonstances sociales ou les problèmes domestiques qui donnent naissance à cette frustration qui se manifeste par la violence. Même la défaite de l'équipe favorite n'est pas nécessairement à l'origine de l'agression, mais plutôt l'esprit de groupe, affirment les auteurs. Une équipe de football peut donner à certains individus un sentiment d'appartenance, et ils sont susceptibles de "défendre leur territoire" lorsqu'un groupe rival vient en ville pour un match.
Quelles que soient les raisons, il est clair que le sport a un gros problème et que l'on ne s'occupe que des effets, sans vraiment comprendre les causes qui les ont provoqués. Combien de supporters devront encore mourir, combien d'arbitres devront encore être battus, combien de joueurs devront encore être victimes d'abus raciaux, avant que l'on ne prenne les mesures nécessaires pour que le football continue d'être ce qu'il devrait être : une fête !