Vous êtes arrivé au Maroc il y a trois jours. Quelles sont vos premières impressions sur l'organisation et le cadre ?
Tout se passe bien pour l'instant. Le terrain d'entraînement est de bonne qualité et l'hôtel est très bien organisé. Par contre, le temps n'est pas idéal, il pleut et il fait plutôt froid. Personnellement, je suis habitué à ce climat venant des Pays-Bas, mais pour mes coéquipiers, c’est plus difficile, ils souffrent du froid !
C’est votre première Coupe d’Afrique des Nations avec le Soudan. Comment vivez-vous ce moment ?
C’est un moment immense pour moi. Les qualifications ont eu lieu il y a un an et j’attendais cela avec impatience. Les derniers mois ont été stressants car j'ai été blessé pendant quatre mois. Je ne suis à 100 % physiquement que depuis six semaines environ. J'ai eu peur de rater le tournoi, mais heureusement, je me suis rétabli à temps.
Vous avez participé à la campagne de qualification, notamment lors de cette victoire marquante contre le Ghana. Quel souvenir en gardez-vous ?
C’était magnifique et historique pour nous. Nous étions dans un groupe très difficile et tout le monde pensait que le Ghana passerait et que le Soudan serait éliminé. Mais nous l'avons fait, et tout le monde était extrêmement heureux. Même si je n'ai pas joué lors de ces matchs, j'étais présent à chaque rassemblement. Le coach aussi était très heureux de battre le Ghana, parce que même s'il est Ghanéen, il est avec le Soudan aujourd'hui et il était fier qu'on ait pu battre son pays.
"Au Soudan, le football est l'une des rares sources de bonheur restantes"
Que représente pour vous, personnellement, le fait de porter le maillot du Soudan ?
C’est la réalisation d’un rêve d’enfant. Dès l'âge de sept ans, je disais à mes amis que si j'avais un jour la chance de jouer pour le Soudan, je n'hésiterais pas une seconde. Mes parents étaient très fiers, surtout mon père qui est pleinement soudanais, ma mère l'est à moitié. Disputer la CAN, c’est le sommet pour tout joueur africain. Mes parents étaient vraiment heureux que je représente le Soudan, surtout mon père. Mon père est entièrement soudanais et ma mère est à moitié soudanaise. Ils étaient vraiment fiers.
Le Soudan traverse une période très difficile. Ressentez-vous que cette compétition dépasse le simple cadre du football ?
Absolument. La guerre dure depuis deux ans et demi maintenant. Pour le peuple, le football est l'une des rares sources de bonheur restantes. Nous sommes conscients de pouvoir leur apporter un peu de joie, et c'est ce qui nous pousse à donner le meilleur de nous-mêmes. On ressent une lourde responsabilité, c'est notre travail de les rendre heureux. Qu'on joue ou non, on s'entraîne et on se prépare ensemble. Ces 90 minutes sont vraiment importantes pour nous et pour le Soudan.
Vous le ressentez aussi, même sans être né là-bas ?
Oui, c'est un peu différent, mais je le ressens parce que mes parents viennent de là. J'essaie de voir les choses de leur point de vue. Une grande partie de ma famille vit là-bas. Ils ont quitté le pays maintenant, mais bien sûr je pense à eux. C'est très triste de voir ce qui se passe. J'en parle avec mon père, je lui demande souvent comment avance la situation. Ce n'est pas beaucoup suivi par la presse européenne. Au début mon père était stressé, mais depuis que ma famille a quitté le pays ça va mieux.
"Je n'ai jamais été au Soudan"
Est-ce que vous pensez que jouer cette CAN pour le Soudan peut faire quelque chose pour la paix dans votre pays ?
Je pense que lorsqu'on s'est qualifié, il y a eu un petit moment de paix. J'espère que si on réussit bien, la guerre se terminera. Mais ce n'est évidemment pas seulement de notre ressort. C'est plus complexe que ça.
Comme vous ne jouez pas à domicile depuis trois ans, ressentez-vous que les gens sont vraiment derrière vous ?
Je le vois sur les réseaux sociaux, ils nous aiment vraiment. Je n'ai jamais été au Soudan, donc pour moi c'est un sentiment un peu différent, mais je peux imaginer pour les autres coéquipiers qui vivent là-bas que c'est vraiment important pour eux.
Vous n'avez jamais été au Soudan, même avant la guerre. Comment vivez-vous ce lien avec les supporters ?
C’est un sentiment particulier, c'est vrai. Mes coéquipiers qui ont vécu là-bas me racontent à quel point c'est un pays magnifique et à quel point les gens aiment le football. Aujourd'hui, à cause de l'insécurité, il est impossible d'y aller, à part peut-être à Port-Soudan à la frontière. J'ai toujours voulu aller au Soudan en grandissant, mais ma mère n'avait pas de passeport à ce moment-là et elle ne voulait pas que je parte seul avec mon père. Elle a toujours pensé que ce n'était pas assez sécurisé d'aller là-bas.
Est-ce que la situation au pays est un sujet de discussion fréquent dans le vestiaire ?
Étonnamment, pas tant que ça. Bien sûr, les joueurs appellent leurs familles, mais on n'en parle pas forcément tous ensemble en groupe. C’est un sujet douloureux, presque tabou par pudeur. J'ai seulement posé la question il y a quelques jours à un ami qui venait d'une région où la guerre a commencé, mais personne n'en parle vraiment. Si j'étais à leur place, je pense que je ferais pareil. Mais c’est une motivation immense. On se bat pour nos familles et pour ce peuple qui nous soutient partout. Dans chaque pays où je suis allé, il y a beaucoup de Soudanais. À travers le monde, que ce soit en Libye, au Qatar ou en Arabie Saoudite, ils sont nombreux.
"J'ai de la chance d'être né aux Pays-Bas"
Le fait de devoir jouer loin du pays vous affecte ?
Pour être honnête, je me sens plus en paix ici parce que je suis un peu loin de là-bas. On ne reste généralement pas longtemps, deux semaines maximum. Le seul truc, c'est que les voyages sont un peu longs puisque je viens des Pays-Bas et qu'il faut aller jusqu'en Afrique ou en Asie. On joue habituellement en Libye ou on fait des stages en Arabie Saoudite. Mon premier stage en 2022 était en Arabie Saoudite.
Comment se passe l'intégration dans une équipe où les joueurs viennent d'horizons très divers (Australie, Thaïlande, Europe) ?
La barrière de la langue est mon plus gros défi. Je parle un arabe libanais, alors qu'eux parlent le dialecte soudanais. Je communique donc surtout en anglais avec certains, et le coéquipier qui vient d'Australie m'aide beaucoup pour les traductions. Le fait que le coach, qui est ghanéen et parle anglais m'aide beaucoup aussi. Malgré cela, nous formons une grande famille où les anciens épaulent les jeunes.
Est-ce que vous sentez un décalage avec les autres joueurs de la sélection, qui pour la plupart sont nés et ont grandi au Soudan ?
Je peux comparer leur vie à celle de mes parents qui ont aussi dû quitter le pays à cause de la guerre. J'ai de la chance d'être né aux Pays-Bas.
Le fait que les deux plus grands clubs soudanais jouent maintenant au Rwanda affecte-t-il l'équipe nationale ?
Non, je pense que c'est une bonne opportunité pour eux de pouvoir jouer dans une ligue. C'est toujours mieux que de ne pas jouer du tout. Ils sont heureux de pouvoir être en compétition, même si ce n'est malheureusement pas au Soudan.
"Leur permettre d'oublier un peu la guerre pendant 90 minutes"
Sportivement vous êtes dans un groupe très compliqué, avec le Burkina Faso, l'Algérie et la Guinée équatoriale...
Oui, c'est un groupe difficile, mais on a notre chance. Dans le football, tout est possible.
Votre entraîneur a déclaré vouloir gagner la CAN. Partagez-vous cette ambition ?
Ce serait incroyable. La dernière victoire du Soudan remonte à 1970. Nous abordons la compétition match après match, sans regarder trop loin. Nous savons que nous sommes les outsiders, mais cela nous motive. Notre force réside dans notre capacité à bien défendre ensemble et à être très dangereux en contre-attaque.
Un dernier message pour les supporters soudanais avant le début du tournoi ?
Je veux leur dire que je suis très heureux de leur soutien malgré les épreuves qu'ils traversent. Nous allons faire tout notre possible pour les rendre fiers et leur permettre d'oublier un peu la guerre pendant 90 minutes.
