L'ultime folie du football français : les pompiers pyromanes choisissent la terre brûlée
On pourrait croire à une mauvaise blague. Pourtant, c'est bel et bien la réalité : Vincent Labrune va rempiler pour un deuxième mandat de 4 ans, grâce à une victoire à la Pyrrhus qui sied si bien aux organisations puissantes et opaques.
Il y a un peu moins de deux semaines, Christophe Bouchet, Stéphane Martin et Alain Guerrini ont été recalés par Foot Unis, le syndicat des présidents de clubs professionnels. Puis Gervais Martel et Cyril Linette ont à leur tour pris un stop par l'Union des acteurs du football (UAF), c'est-à-dire, l'ensemble des joueurs, des entraîneurs, des arbitres, des personnels administratifs et des médecins. Proche de Philippe Piat, puissant président du syndicat des joueurs depuis…1969, Guerrini (patron de la filiale française de Panini) a donc reçu un parrainage pour du beurre… Conséquence : Labrune se retrouvait seul face à Karl Olive, député Renaissance et candidat de la FFF qui n'a pas eu besoin de passer par l'exposé de 15 minutes, épreuve risible, pour voir son dossier validé, mais, surtout, qui n'avait pas envie de se présenter… sauf si Labrune s'était retrouvé seul. Pas mal non ? C'est français !
L'UAF était dans son droit le plus absolu de parrainer qui elle veut… mais elle était aussi en capacité de parrainer plus de candidats, donc Linette et Martel qui, lui, siège déjà au CA de la LFP comme membre indépendant. Déjà que la date du 10 septembre favorisait les intérêts de Labrune, il ne s'agissait dès lors plus que d'une validation, une élection par acclamation.
Or la ministre Amélie Oudéa-Castéra a interféré pour favoriser la candidature de Linette, quitte à le faire passer pour l'homme du pouvoir. Une béchamel indigeste, mais finalement ragoûtante pour Labrune qui n'avait aucune chance de perdre quoi qu'il arrive, adversaire en face ou pas. La preuve : il a recueilli plus de 85 % des voix du Conseil d'Administration de la LFP. Pour résumer : c'était un penalty sans gardien.
Définitivement terminé avec Canal +
On connaît l'humour pince-sans-rire d'Antoine Kombouaré et sa déclaration, même teintée d'humour, a été aussi saillante que le furent ses interventions quand il était joueur : oui, s'il avait été entraîneur, Labrune aurait été viré sans ménagement, voué aux gémonies pour avoir ramené la moitié du milliard promis et, pire, pour s'être autocongratulé sans vergogne dans les colonnes de L'Équipe. Le football professionnel français ne fonce plus vers le mur, il l'a pris et il continue d'avoir le pied sur l'accélérateur, convaincu que ce sont les briques qui cèderont avec lui.
C'en est à se demander comment des hommes d'affaires qui ont réussi peuvent autant se bercer d'illusion quand il s'agit de leur club. La Ligue 1 et la Ligue 2 vivent principalement des droits TV et cette dépendance s'est accrue depuis l'arrêt des championnats au moment de la pandémie (avant l'élection de Labrune, preuve que le manque de lucidité n'est pas nouveau), du refus de renégocier avec Mediapro qui offrait 650 millions d'euros par saison pour accepter un deal mortifère de 250 millions d'euros avec Amazon qui a jugé le produit tellement invendable qu'il s'est retiré de l'appel d'offres qui a abouti à ces minuscules 500 millions d'euros par saison… ou plutôt cette moitié de milliard. Et c'est sans même évoquer ce deal quasi léonin avec CVC, probablement signé sans lire ou tout au mieux sur un bord de table.
Linette a eu à peine le temps de faire campagne. Il a néanmoins convaincu la moitié des clubs de Ligue 2 alors que Labrune n'a eu que 7 voix sur 18 et que deux présidents se sont abstenus. Avant de diriger L'Équipe et le PMU, Linette fut un haut dirigeant de Canal+ et cela n'aurait peut-être pas été si négatif de faire un pas vers la chaîne cryptée. Avec ce nouveau camouflet, il n'y a plus aucune chance de voir Vincent Bolloré et Maxime Saada revenir dans le jeu, outre le fait que, manifestement, peu de monde à la LFP a compris que le groupe Canal est aussi un distributeur en même temps qu'un acheteur de droits, ce qui le place en position centrale et incontournable pour la diffusion des contenus dont il ne veut pas. Nouer un accord de distribution avec BeIN Sports et DAZN est probablement la meilleure façon de gagner de l'argent avec la L1 et la L2 dont personne ou presque ne veut.
4 centimes
Alors que plusieurs pelouses sont dans un état infâme à cause de l'externalisation de l'entretien de l'outil de travail des joueurs, qu'aucune solution n'est recherchée pour cesser les fermetures de tribunes entières (notamment pour des utilisations de fumigènes dont les images finissent très souvent dans les bande-annonces de promotion des matches…), que les stars ont fui la France (ça a des conséquences de s'en prendre à Neymar et encore plus à Lionel Messi en termes d'attractivité), que le jeu de l'Equipe de France de Didier Deschamps était sous le niveau de la mer pendant l'Euro (pour se contenter d'une analyse récente), le football français ne comprend pas qu'il faut changer de paradigme, que les temps ne sont plus les mêmes et que, non, un abonnement pour un seul flux à 29,99 € par mois avec engagement d'un an ou 39,99 € sans engagement pour 8 matches en direct sur 9, ce n'est pas du tout attractif.
Avec son offre promotionnelle qui débute ce mardi jusqu'au 22 septembre prochain, date de "l'Olympico", DAZN signale déjà l'urgence… Et si le montant baisse, alors le nombre d'abonnés pour être rentable augmente inévitablement. Et si jamais le million et demi d'abonnés n'est pas trouvé au terme de la saison (condition pour qu'une prime soit versée par DAZN aux clubs), alors la Ligue 1 sera encore plus dévaluée qu'elle ne l'est déjà et la clause de retrait imposée dans le contrat serait encore plus mortifère puisqu'il y aurait la certitude mathématique que les chiffres n'ont pas été atteints.
D'ailleurs, la promotion n'en est pas vraiment une et elle démontre d'ores et déjà le marasme actuel. Il reste 8 mois de compétition, et avec un engagement d'un an, cela fait…29,99 € par mois pour suivre la L1 ! Le prix est... à 4 centimes près le même sans engagement : 239,88€ par an avec engagement contre 239,92€ sur 8 mois ! Concrètement, DAZN vient de recommander à ses clients de ne pas s'engager ! Ça respire la confiance !
Pour toute personne dotée de logique, il fallait au moins un véritable opposant qui puisse opposer un projet développé et concret à Labrune, car la confrontation peut faire naître de nouvelles idées. Cela n'a pas été le cas. Mais cette fois-ci, les dirigeants dans leur ensemble, la FFF, les syndicats, les présidents de club ont pris leurs responsabilités et ne pourront plus dire qu'ils ne savaient pas. Ils devront rendre des comptes à leurs supporters qui ont eu beaucoup plus de lucidité quant au futur proche d'un football français et qui ne veulent plus financer et soutenir des dirigeants qui les méprisent.