Mason Greenwood à l'OM : la honte n'a pas d'odeur
Pablo Longoria et l'ensemble des dirigeants de l'Olympique de Marseille sont-ils tombés sur la tête cet été ? Après Youcef Atal, condamné en première instance le 3 janvier dernier à 8 mois de prison avec sursis et 45 000 € d'amende par la justice pour "provocation à la haine à raison de la religion", le club s'est entiché de Mason Greenwood, impliqué dans une affaire de violences conjugales à caractère sexuel, exfiltré de Manchester United et relancé en prêt la saison dernière à Getafe.
Si le cas du latéral algérien a été tranché bien qu'il y aura un procès en appel et que la Ligue l'a suspendu 7 matches avant que Nice ne l'exfiltre en Turquie, à l'Adana Demirspor, ce n'est pas le cas de l'Anglais. En effet, sa compagne a retiré sa plainte, ce qui a mis un terme à toute procédure. Pour autant, la probité du nouveau numéro 10 phocéen est sujette à caution malgré l'extinction de l'action judiciaire.
"Je m'en fous si tu n'as pas envie de baiser avec moi"
En premier lieu, il faut reprendre l'affaire depuis le début car, à rebours des cas où c'est parole contre parole, il y a des éléments factuels pour étayer, du matériel audio et vidéo disponible, enregistré par la compagne de Greenwood. "À tous ceux qui veulent savoir ce que Mason Greenwood me fait", avait-elle légendé sur Instagram avec des photos et vidéos éloquentes d'elle en sang et percluse de bleus énormes pour étayer cet enregistrement audio et qui font froid dans le dos.
Voici l'intégralité des propos tenus par les deux personnes lors de l'agression sexuelle présumée, a minima une tentative de viol conjugal.
- Relève tes jambes, relève tes putains de jambes
- Non, je ne veux pas faire l'amour
- J'en ai rien à foutre de ce que tu veux... Ferme-la, stop
- Arrête de mettre ta bite là
- Je vais te baiser, salope
- Je ne veux pas avoir de relations sexuelles avec toi
- Je m'en fous si tu n'as pas envie de baiser avec moi, tu m'entends ?!
Placé en garde à vue, Greenwood ressort du commissariat le 2 février, sous caution. Son club le suspend, y compris de salaire et offre gratuitement à ses fans de changer de floquage. Nike met un terme au contrat qui lie la marque au joueur.
Greenwood devrait faire profil bas, mais fait tout l'inverse. Mi-octobre, alors qu'il est placé sous contrôle judiciaire, il ne respecte pas l'injonction de la justice. Il entre en contact avec sa compagne, ce qui est parfaitement interdit. Après 48 heures de détention, il assiste à une audition où le juge lui dresse la longue liste de ses inculpations : tentative de viol, agression, comportements coercitifs répétés, menaces et remarques dégradantes. Par la voix de son avocat, il nie les faits… sans les contester. Un report de 5 semaines est ordonné, mais Greenwood évite la case prison : il a les moyens de payer sa caution. Au terme de ce délai, la date de son procès est fixée : le 27 novembre 2023.
Or, le 2 février, un an jour pour jour après la fin de sa première garde à vue, toutes les charges sont abandonnées. "Retrait de témoins clefs" et "de nouveaux éléments" sont invoqués par la police. Une décision logique : Greenwood et sa compagne se sont remis en couple. En revanche, MU ouvre une enquête en interne pour finalement refuser de réintégrer le joueur et de le payer. L'équipe féminine des Red Devils a appuyé et influé sur cette décision.
Pour autant, au début de la saison 2022-2023, United envisage de redonner sa chance à Greenwood. Les supporters et les sponsors font plier le board. Après que l'Anglais a reconnu "sa part de responsabilité dans la situation", un euphémisme suffisamment éloquent quant à sa culpabilité, il part en prêt à Getafe où il se relance, tandis que les supporters adverses le couvrent d'insultes. Lors du déplacement du Real Madrid en Liga en mars dernier, Jude Bellingham le traite de "rapist" ("violeur") ou de "rubbish" ("déchet") selon la version des experts en lecture labiale.
L'OM profite de la situation sans vergogne
La question qui s'adresse aussi bien à Frank McCourt, l'ensemble des représentants du club à Marseille et au "peuple marseillais" est : veut-on voir, supporter et faire de l'argent avec un joueur capable de telles choses ?
En l'espèce, dans des circonstances normales, l'OM n'aurait jamais pu s'offrir Greenwood, le "wonderkid" de Manchester United. C'est précisément parce qu'il a été excommunié par son club formateur que l'OM a pu se l'offrir. Profiter de la publication de ce matériel accablant concernant des actes de violence rare contre sa compagne est au mieux douteux, au pire totalement déplorable.
Or, lors de la conférence de presse de présentation du joueur vendredi après-midi, Longoria s'est fendu d'une déclaration liminaire qui n'a laissé aucun doute quant à ces atermoiements, ce que la campagne de promotion de la nouvelle recrue organisée par l'OM sur ses réseaux sociaux confirme. Il a ainsi expliqué que Greenwood était un "joueur de dimension internationale", un "espoir parmi les plus importants des saisons dernières" doté de "grosses qualités" qui témoigne du "niveau d'ambition" du club pour remplir de hauts objectifs. Surtout, il a évoqué plus que maladroitement la situation de l'Anglais : "je tiens à dire que je suis le premier qui comprend que son transfert suscite beaucoup d'interrogations. Je respecte toutes les opinions. Je ne rentrerai pas en polémique, on parle du passé". Selon lui, "la situation est complexe et ancienne". Le 30 janvier 2022 semble manifestement être une éternité... Et si elle est complexe, de son aveu même, c'est qu'il demeure bel et bien des zones d'ombre.
Surtout, l'Asturien a assuré "personnellement" que Greenwood "possède toutes les valeurs que l'on veut développer au sein du club". Et là, que l'on soit ravi par ce transfert ou bien profondément dégoûté, une telle allégation aurait mérité une explication plus fournie, qui plus est après avoir été proche de signer Atal. Visiblement, la fin justifie les moyens.
Les arguments de défense venus des réseaux sociaux, toujours mâtinés du fameux (et fumeux) "nous contre le reste du monde", expliquant que "quand c'est les autres, vous ne dites rien" sont déplorables : l'OM avait-il précisément besoin d'être comme les autres ? Faut-il abaisser la barre des exigences au motif que cela pourrait rapporter un titre, un podium en championnat, une qualification en Ligue des champions ? Combien de joueurs ont été sifflés, honnis, insultés alors que leur tort était simplement de ne pas avoir eu de rendement sur le terrain ? Mathieu Valbuena a eu une poupée à son effigie pendue dans un virage pour avoir signé à Lyon. Pour certains, ce transfert serait plus grave que ce qu'a commis Greenwood.
Ces "valeurs que l'on veut développer au sein du club" consistent-elles aussi à refuser et à censurer la question d'un journaliste de La Provence (quotidien régional détenu par Rodolphe Saadé, également propriétaire de la puissante CGA-CGM sponsor maillot de l'OM) lors de la conférence de presse de présentation, pendant qu'une meute le traque sur les réseaux sociaux et appelle à son lynchage ? Si toutes les opinions sont respectées, puisqu'il s'agit du passé, pourquoi le club était-il si gêné par la situation au moment de l'aborder avec le principal protagoniste ? Et comment, après des jours de rumeurs et donc de commentaires postés sur les réseaux sociaux, les dirigeants phocéens pouvaient-ils ignorer que cela entraînerait une campagne de harcèlement ?
Longoria a vite oublié son cas personnel
En outre, Longoria semble avoir la mémoire un peu courte. En septembre 2023, il a été menacé de mort par des membres d'associations de supporters. À l'époque, Amélie Oudéa-Castéra, la ministre des Sports, s'en était publiquement émue. Son interview à La Provence, le visage pâle comme un linge, sa voix nouée par des sanglots, a fait le tour du monde.
Dans le communiqué officiel du club, il était écrit qu'"une relation basée sur l'intimidation ne peut garantir les conditions minimales acceptables pour que le Directoire du club puisse continuer à s’investir pour la transformation de l'OM". Longoria avait lui-même déclaré que "les limites ont été dépassées. En 2023, un dirigeant de n'importe quel club ne peut pas subir ces menaces. Je ne les accepte pas. Je n'ai pas eu peur, mais j'étais choqué, je considère que ce n'est pas normal". Et d'ajouter que "pendant l'entretien final, j'ai pleuré pendant une heure. J'ai dû avoir un suivi psychologique parce qu'avec les valeurs que j'ai dans la vie, jamais je pouvais m'imaginer que ça pouvait aller aussi loin".
Il avait également affirmé que "dans la vie, je suis une personne de valeurs, de très forte conviction. Je ne peux pas seulement me contenter de dénoncer une situation, je dois aller au bout des choses et de ce que je pense. J’ai donc demandé à mes avocats de déposer plainte par rapport à ce qu’il s’est passé. Il ne s’agit pas d’alimenter un conflit. Non. Je veux simplement mettre fin à des comportements afin que ce type de situation ne se reproduise plus à l’avenir. C’est ma responsabilité".
Lui n'a pas retiré sa plainte contre X et le parquet a, quoi qu'il en soit, diligenté une enquête pour "tentative d'extorsion, chantage et menaces sous conditions de crime ou de délit". Le passé et la complexité semblent donc être à géométrie variable, tout comme son niveau d'empathie avec autrui…
Bien au-delà du cas particulier de Greenwood
L'argument de la jeunesse de Greenwood ne tient pas : d'une part il était majeur, et encore heureux que les jeunes hommes n'ont pas le droit à ce type de "joker". Par ailleurs, c'est grâce à son argent qu'il a pu éviter la prison puisqu'il a été libéré sous caution. S'en sortir à bon compte parce qu'on est riche, est-ce un bon message à envoyer de la part de l'OM ?
À sa décharge, d'aucuns diront que Greenwood n'a pas été condamné par la justice, du fait que sa compagne a retiré sa plainte. N'oublions pas cependant qu'ils ont un enfant ensemble, que le propre beau-père du joueur a eu des propos publics troubles car très empathiques pour le joueur dès les premières heures après la publication les posts de sa fille : "elle nous a dit que son téléphone avait été piraté. Nous lui avons dit de le retirer, ce qu’elle a fait, mais il est disponible maintenant, donc il est trop tard. Elle est dévastée parce qu’elle ne voulait pas que ce soit publié. On le connaît depuis les moins de 21 ans. Il fait partie de notre famille depuis deux ou trois ans". Des déclarations qui ont choqué outre-Manche, car il a été accusé de vouloir profiter de sa fille malgré ce qui venait de se produire.
Au-delà du cas Greenwood, il s'agit d'un vrai problème de fond, ne serait-ce que d'un point de vue moral pour l'OM. Dans les cas de violences conjugales, le rôle de l'entourage est primordial, d'autant que couper le lien avec son bourreau est certainement la chose la plus difficile qui soit, peu importe le milieu social.
Et puisque les supporters sont toujours plus fascinés par les statistiques et les data, en voici quelques-unes. Le viol conjugal concerne la moitié des femmes victimes de viol. Pour reprendre les termes d'une enquête gouvernementale disponible ici, en France, les violences conjugales enregistrées en 2022 sont en hausse de 15 % sur un an, 86 % sont des femmes, dans 87 % des cas il s'agit de violences exercées par un homme et 69 % sont de nature physique, ce qui laisse une part non négligeable aux violences psychiques et économiques.
De plus, seulement 14 % des victimes ont porté plainte et 24 % cherchent une autre solution. Sur les 118 femmes mortes au sein du couple en 2022, 31 % avaient déjà subi des violences de la part de leur conjoint, 65 % avaient signalé des violences antérieures et 79 % avaient porté plainte. En 2023, une enquête a affirmé que 37 % des femmes ont déjà vécu une situation de non-consentement.
Ainsi, sur les 114 110 victimes de violences sexuelles en France en 2023, 85 % sont des femmes et 75 % des violences intra-familiales le sont sur des femmes. Par la voix de Longoria, McCourt et l'OM veulent mettre tout cela sous le tapis, ignorer cette réalité. Après tout, que sont ces chiffres si Greenwood plante 15 buts et adresse 10 passes décisives cette saison ?
Hormis Payan, un silence assourdissant et accablant
Manchester United a tout fait pour s'en débarrasser, évidemment en essayant de gagner de l'argent, business is business (ce qui n'est guère glorieux). Benoît Payan, le maire de Marseille, est intervenu pour empêcher la venue d'Atal et il s'est de nouveau exprimé publiquement pour s'opposer à la venue de Greenwood, cette fois-ci sans succès. C'est le seul personnage politique à avoir pris ses responsabilités.
Le sujet Greenwood est un cas d'école car il met en perspective ce que des supporters sont prêts à accepter pour leur club. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux à défendre l'Anglais par simple clubisme. Ce qui serait intolérable pour un quidam vaudrait absolution par la grâce d'un don pour le ballon ? À une époque où la France ne parvient pas à endiguer le fléau du féminicide, le club le plus suivi de France, membre du Top 20 européen dans les revenus générés a dépensé 30M€ (un record pour l'OM) et un salaire exorbitant pour une telle personne. Parmi tous les joueurs disponibles au monde pour cette somme, il fallait évidemment que ce soit celui avec un pedigree aussi peu ragoûtant...
Au-delà de Marseille, la LFP est-elle prête à accueillir comme tête d'affiche un joueur avec ces antécédents et qui pourrait devenir l'une des principales stars d'un championnat qui ne se vend pas ? C'est apparemment le cas puisque le compte officiel de la Ligue 1 (5,3 millions de followers) a souhaité la bienvenue en France à Greenwood sous le post de l'OM annonçant le transfert. Et qu'en pense également le président de la République, supporter affiché de l'OM, qui a fait de la lutte contre la violence de genre l'une de ses grandes causes nationales ? Enfin, la ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, la très médiatique Aurore Bergé, a jusqu'à présent brillé par son absence, comme si le contexte politique actuel annulait sa fonction.
Chacun dispose de son libre-arbitre pour estimer quelle serait notre réaction si la victime était une proche. Pour autant, la signature Greenwood à l'OM relève de la faute morale. C'est bien pire que n'importe quel transfert loupé ou une opportunité de marché qui n'aurait pas été saisie. C'est une honte, en majuscule et indélébile.