Le foot européen à un "point de bascule" face aux calendriers surchargés
Il va falloir "taper du poing sur la table": le Français du Real Madrid Aurélien Tchouaméni a récemment appelé, comme le capitaine des Pays-Bas Virgil van Dijk et nombre de leurs confrères, à s'unir contre des calendriers toujours "en train de s'alourdir" et qui mettent les "organismes à rude épreuve".
Ces derniers mois, après la tenue inhabituelle de la Coupe du monde en hiver, d'autres grands noms du foot avaient critiqué ces cadences, comme l'entraîneur du FC Barcelone Xavi, celui de Liverpool Jürgen Klopp ou celui de Manchester City Pep Guardiola, appelant les joueurs à se mettre "en grève".
Si le sujet est loin d'être nouveau, "la charge de travail de la génération actuelle de joueurs a atteint un niveau record, les joueurs accumulant plus de minutes et de matches que jamais auparavant", explique à l'AFP Joel Mason, chercheur à l'université d'Iéna (Allemagne).
Compétitions rallongées
En plus de l'arrivée de nouvelles compétitions, comme la Ligue des nations, plusieurs autres vont être rallongées : en 2024-2025, la Ligue des champions passera de 32 à 36 équipes ; en 2025, la Coupe du monde des clubs, auparavant annuelle, passera de sept à 32 clubs au format quadriennal ; en 2026, la Coupe du monde réunira 48 nations au lieu de 32…
Résultat, "des temps de récupération et de préparation de plus en plus courts", regrette le sélectionneur français Didier Deschamps, des joueurs qui n'ont "jamais l'occasion de se reposer", rebondit son homologue néerlandais Ronald Koeman, qui n'a "jamais vécu pareille situation auparavant avec autant de joueurs forfait" avant Pays-Bas - France.
Les blessures dans les cinq plus grands championnats européens ont augmenté de 20 % en 2021-2022, selon une étude du courtier en assurances britannique Howden. Et, selon le dernier rapport annuel du syndicat des joueurs FIFPRO, 53 % des joueurs ont déclaré s'être blessés ou s'être sentis plus susceptibles de se blesser en raison des contraintes du calendrier.
Mais cela va au-delà des blessures, selon Alexander Bielefeld, directeur de la politique mondiale et des relations stratégiques de la FIFPRO, le syndicat des joueurs, qui "tire la sonnette d'alarme depuis quatre ans sur le sujet".
"L'industrie du football a encore une vision assez simpliste de ce qu'est la charge de travail", continue-t-il, invitant à avoir "une image plus globale, qui va de la santé mentale au temps passé en famille, en passant par les déplacements et la perturbation du sommeil, à la capacité de performance".
Pour lui, si les joueurs parlent désormais plus librement, c'est la preuve qu'"un point de bascule" a été franchi, car "pour tout athlète, il est assez difficile d'admettre que son corps, qui est sa principale ressource, n'est pas en mesure de répondre aux exigences imposées".
"Ne te plains pas et joue"
L'autre barrière qui s'érigeait était "la perception du public, qui voit le joueur dans une position très privilégiée", pouvant "réaliser son rêve d'enfant" en "gagnant des millions en tapant dans un ballon".
"On leur dit : Ne te plains pas et joue, c'est évidemment une erreur fondamentale", estime Alexander Bielefeld, selon qui "aucun des droits fondamentaux n'a à voir avec le salaire, (...) dans d'autres professions qui exigent un temps de travail supplémentaire, il n'est pas possible de le remplacer par un salaire supplémentaire, il faut un repos supplémentaire et des congés supplémentaires".
"C'est vrai qu'on est bien payés, mais au final ça ne devrait pas affecter notre santé", a d'ailleurs mis en balance Virgil Van Dijk. Une des clés d'amélioration repose, pour Joel Mason, sur "les clubs et leurs staffs médicaux qui prennent constamment des contre-mesures pour prévenir les blessures".
S'il constate que "quelque chose cloche", le sélectionneur anglais Gareth Southgate relativise aussi le problème avec l'importance d'"un bon soutien médical et scientifique" et de "bonnes relations médicales (entre les sélections) et les clubs". Mais pour Alexander Bielefeld, le soutien médical "permet uniquement aux joueurs de revenir au jeu plus rapidement, d'être plus résilients pour atteindre de nouvelles limites".
Après l'adoption permanente des cinq remplacements par rencontre, amélioration notable, la Fifpro pousse pour "forcer une plus grande rotation des joueurs", abonde-t-il, "car il est clair que nous ne manquons pas de joueurs dans notre industrie, et il y en a beaucoup qui aimeraient jouer plus".
Le syndicat demande également l'introduction d'une période minimale de repos de quatre semaines entre deux saisons et une pause de deux semaines en milieu de saison.