Le doux regard de Raspadori ou la victoire du Napoli multiculturel sur la pelouse de la Juve
Giacomo de Reggio Emilia n'y a pas réfléchi à deux fois lorsque le ballon est arrivé de la droite et a atterri dans le coin d'air indéfini et éthéré qu'il devait nécessairement remplir avec son pied gauche, son pied faible. Puis, le ballon botté par Raspadori a percé les filets, passant entre les jambes de Wojciech Szczęsny. L'explosion de joie des joueurs, du staff et des supporters du Napoli est de celles qui restent dans les mémoires, après le but refusé de Ángel Di María et le renoncement d'une Juventus qui n'a jamais réussi à renverser les Azzurri cette saison.
Mais le but de Raspadori, l'un des joueurs les moins en forme et, par conséquent, l'un des moins attendus, vaut une victoire chez la Vieille Dame et permet à Naples de franchir une étape décisive vers l'obtention d'un titre quasiment validé et espéré depuis des semaines. C'est plutôt l'aboutissement d'une œuvre d'art de Luciano Spalletti, artiste plasticien,à mi-chemin entre le classique et le moderne, et de tous ses interprètes, éléments malléables et parfaitement assimilées pour être moulées en un chef-d'œuvre. Un chef-d'œuvre du point de vue du jeu sublimé par les énormes émotions que seul un "beau perdant" comme l'équipe bleue pouvait l'exprimer haut et fort. La seule composante de ce Napoli qui s'approche de son troisième titre est cependant celle de l'absence d'un solide représentant du territoire.
Babel azur
Cette "Terra mia", que Pino Daniele a chantée 7 ans avant l'arrivée de Diego Armando Maradona à l'été 1984, est aujourd'hui à nouveau en ébullition pour cette grande beauté qui libère une Naples plus forte que de nombreuses réalités avec un plus gros portefeuille mais pas pour autant plus attractives. Rebelle mais sûre d'elle, la troupe bleue avait ce petit quelque chose en plus dans son élégance qui lui permettait d'être appréciée même en Europe. Le tout dans une Babel composée de personnes de quatre continents qui se sont comprises à travers la "koiné" du beau jeu, illustrée hier soir dans un dialogue vertueux entre Eljif Elmas et le capitaine Giovanni Di Lorenzo dont l'issue a été la frappe de Victor Osimhen.
Dans cette Babel bleue, l'exception est justement le Napolitain, du moins en ce qui concerne le vestiaire, où la ville n'est représentée que par le troisième gardien Davide Marfella et le milieu de terrain Gianluca Gaetano qui n'est presque jamais apparu sur le terrain cette saison. Quelque chose de totalement différent des autres millésimes historiques des années 80, quand des gens comme Beppe Bruscolotti, Ciro Ferrara ou Ciro Muro. Du coréen de Min-jae Kim à l'espagnol avec un accent mexicain de Hirving Lozano, ce sont 17 heures de vol le long du Pacifique et une infinité de variations culturelles. Des variantes, celles-ci, immergées dans le chaudron explosif du Vésuve, au pied duquel un Toscan venu d'Empoli sans trop de prétentions devint capitaine. Tout comme un Argentin arrivé en 1984, quand cette 'Terra mia' résonna dans le cœur d'un peuple ignorant qu'une révolution allait commencer. Le troisième acte a été inspiré par les yeux doux d'un Émilien qui a émigré en sens inverse et qui, avec son pied gauche, est aussi devenu un Napolitain. Pour toujours.