Gervais Hakizimana, galérien du bitume et coach du nouveau roi Kelvin Kiptum
Il y a quelques mois, le mystérieux Kelvin Kiptum, ovni débarqué sur la planète marathon en décembre 2022 (vainqueur à Valence en 2h01:53), se présentait comme un athlète sans entraîneur. A Chicago, il a rectifié en citant Gervais Hakizimana, avec qui il a fièrement posé devant un panneau "2 h 00 min 35 sec", son nouveau record du monde -plus rapide que la légende Eliud Kipchoge.
Ce Rwandais de 36 ans vit entre le Kenya et la France, pays qu'il a rejoint en 2008 pour "changer sa vie", comme l'explique à l'AFP Philippe Plancke, un professeur des écoles dans le Nord et qui le connait bien.
Il y a 15 ans, Gervais Hakizimana débarque chez cet "entraîneur bénévole et passionné" qui l'héberge alors plusieurs mois, dans le sillage de Dieudonné Disi, international rwandais sur route, piste et en cross.
Comme des dizaines de coureurs d'Afrique de l'Est, Hakizimana écume durant des années les courses de l'Hexagone pour, quand ça veut bien sourire, des primes de victoires de quelques centaines d'euros. Apprécié des organisateurs, il jongle entre le français, l'anglais et le swahili et officie à ce titre comme traducteur des athlètes kényans.
"De quoi vivre"
"Je vivais pour la course à pied. J'avais besoin d'argent, je courais tous les week-ends, raconte-t-il lui-même à l'AFP. Je payais la scolarité de jeunes de ma famille au Rwanda."
Sur le site de la Fédération française d'athlétisme (FFA), la fiche de ce stakhanoviste du goudron, qui "ne cherchait pas la gloire mais de quoi vivre", dénombre 123 départs pour seulement deux abandons entre 2008 et 2016.
Mais, avec les années, alors que son niveau baisse et que les blessures s'enchaînent, il s'installe à Lyon et doit travailler "misérablement" pour vivre.
"Je travaillais dans la propreté, le nettoyage de bâtiments, les vitres par exemple, pour gagner un salaire, et justifier mes papiers", des visas temporaires, explique le coureur. Également coursier pour une plateforme en ligne, il se fait voler plusieurs fois son vélo avant de passer au scooter. En 2022, il est soulagé par l'obtention d'un permis de séjour de dix ans.
Pendant ses années françaises, Gervais Hakizimana se rend régulièrement au Kenya pour s'entraîner. C'est vers Chepkorio (ouest), où il a désormais une chambre à l'année, qu'il rencontre Kelvin Kiptum, en 2013.
"Quand on faisait des séances de côtes dans la forêt près de chez lui, il était petit mais nous suivait, pieds nus, après avoir gardé les chèvres et les moutons."
Aux côtés d'autres locaux, Kiptum (né en 1999) grandit et s'accroche aux séances du Rwandais, concoctées par son entraîneur français et bientôt adaptées à sa sauce.
Leur collaboration décolle en 2020 lorsque Hakizimana reste bloqué plusieurs mois au Kenya à cause de la pandémie de Covid-19.
"A Chepkorio on habite ensemble. C'est tout prêt de chez lui mais il vaut mieux qu'il ne rentre pas, il se prend une chambre, il faut qu'il se concentre, qu'il se coupe des distractions. Il ne fait que courir, manger, dormir."
"Discipliné"
En France, dès 2013, Gervais Hakizimana aide Philippe Plancke à créer Unirun59, association qui aide des athlètes de haut niveau à chercher des financements pour leurs stages, déplacements et tenues. Le Rwandais, qui devient petit à petit entraîneur, est aussi leur découvreur de talent en Afrique.
Avant Kiptum, il coache le Kényan Kenneth Kipkemoi, vainqueur de l'important marathon de Rotterdam et 4e à Chicago en 2018. Las, Kipkemoi est suspendu deux ans pour dopage à un bêta-bloquant en 2020, une sanction atténuée, l'antidopage ayant retenu une "négligence" dans un traitement médical.
"Contrairement à Kiptum, lui n'était pas discipliné", regrette Gervais Hazikimana.
"Le dopage est partout au Kenya, déplore-t-il. Mais ce sont surtout les maladroits qui sont attrapés, victimes d'un manque d'éducation et d'information."
Surveillé de près, Kiptum a été contrôlé chaque semaine et parfois plusieurs fois par jour pendant sa préparation pour le marathon de Chicago, assure son coach.
"J'ai confiance en Gervais, quelqu'un d'intègre", ajoute Philippe Plancke.
Les deux hommes espèrent concrétiser d'ici quelques semaines un projet de centre d'entraînement au Rwanda pour détecter et faire progresser les coureurs d'élite locaux.
Gervais Hakizimana n'a lui jamais signé de contrat avec Kiptum, dont les revenus ont explosé depuis dix mois. A Chicago, il a rencontré pour la première fois le manager belge du champion, Marc Corstjens. Pour changer sa vie définitivement ?