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Il y a 20 ans disparaissait Marco Pantani, triste héros romagnol d'une tragédie grecque

François Miguel Boudet
Plus haut, plus vite que les autres
Plus haut, plus vite que les autresAFP
Il y a 20 ans jour pour jour, Marco Pantani mourait seul dans une chambre de la Residence Le Rose, à Rimini. Héros cycliste déchu, le Pirate a été broyé par un système inhumain et les circonstances de son contrôle positif en 1999 puis de son décès 5 ans plus tard sont encore empreintes de doutes.

"Marco Pantani est mort" : c'était le 14 février 2004 à 22h42 et si Facebook n'avait que quelques jours d'existence, c'est via un bon vieux téléscripteur et une dépêche de l'ANSA que l'Italie a été secouée au moment où allait débuter l'émission "Sport Sera Due" sur la Rai.

Un mois et un jour après son 34e anniversaire, dans une chambre de la Residence Le Rose, hôtel sordide de Rimini, le Pirate a débranché la prise pour reprendre ses propres mots. Overdose de cocaïne. Le dernier auteur du doublé Giro-Tour dans l'atmosphère viciée de l'affaire Festina avait choisi une piaule meublée à 50 balles, en face de l'appartement de son dealer pour être livré plus rapidement.

Pantani était une idole, un fuoriclasse absolu, un grimpeur de légende comme le furent avant lui Federico Bahamontes et Charly Gaul. Il a fini seul, comme le Luxembourgeois devenu ermite mais lui, ce fut comme un junkie redescendu aussi bas qu'il était monté haut. 

Fascination absolue

Écrire sur Pantani se révèle toujours particulièrement complexe. Car sous des aspects manichéens, son sort est bien plus complexe à analyser. Ce n'est pas l'équation simpliste cycliste=dopé ou cycliste=drogué. Pantani est un personnage mystique, voire mythique, où se conjuguent Sisyphe, Icare, Faust dans un opéra où le cyclisme n'est finalement pas le sujet de fond.

Depuis sa mort, aucun cycliste n'a autant fasciné. Oui, il y a eu, au cours des vingt dernières années, de grands champions mais aucun n'a atteint la popularité du Romagnol, n'a suscité une telle adoration, y compris le "Requin de Messine" Vincenzo Nibali, coureur offensif et vainqueur des trois Grands Tours. Pantani, c'est Maradona, c'est une religion à part entière. 

Puis "Elefantino", surnom abhorré acquis pour ses oreilles décollées, est devenu le "Pirate" affublé d'un bandana, de boucles d'oreille et d'un crâne impeccable rasé. De Fausto Coppi, il eut la gloire et la chute. Mais peut-être s'apparentait-il davantage dans sa façon d'être à Gino Bartoli, quoiqu'il fut agnostique quand le Toscan était surnommé le Pieu pour son extrême dévotion. Peut-être fut-il le trait d'union entre ces deux visages de l'Italie pour reprendre la dichotomie de Curzio Malaparte en 1947. 

5 juin : date d'anniversaire, date d'enterrement

Les causes de sa mort conservent un halo de mystère, typique des personnages qui furent l'objet d'un culte. La version de la simple overdose est trop évidente, tout comme celle de son contrôle positif à Madonna di Campiglio le 5 juin 1999, le début de la descente fatale. Cinq ans plus tôt, jour pour jour, dans la montée vers Aprica, il avait déboulonné Miguel Indurain, son exact opposé : rouleur, massif, calculateur, pas spectaculaire pour deux sous. 

Madonna di Campliglio, c'est l'épicentre de la tragédie, une histoire opaque dans laquelle tout s'entrechoque : contrôle anti-doping foireux, volonté de laver plus blanc que blanc après l'affaire Festina, ombre de paris sportifs illégaux dirigés par la mafia, vendetta née d'une frustration d'une autre équipe italienne : tout est là pour faire vivre et nourrir le doute.

Cet épisode est une histoire opaque, y compris dans l'esprit de Paolo Savoldelli, 2e du Giro derrière Ivan Gotti, vainqueur par contumace, qui ne fut pas non plus un prix de vertu puisque condamné quelques mois plus tard pour fraude sportive. "Les choses étaient bizarres, confessa-t-il à Philippe Brunel dans "Vie et Mort de Marco Pantani", contre-enquête détaillée et éloquente publiée en 2007. Le coureur de la Saeco était passé sur le gril juste avant Pantani. Il n'y avait pas que des membres de l'UCI. Il y avait d'autres personnes dans le couloir, des gens qui étaient là aussi pour nous contrôler mais d'une autre façon. C'était après que j'en ai pris conscience. (...) Des gens des Nas, de la brigade des stups. Ils étaient là, postés devant sa porte, pour empêcher que quelqu'un puisse le rejoindre, c'est l'impression qu'ils donnaient. Pantani a-t-il été vendu ? A-t-il reçu des promesses qui n'ont pas été tenues ? Je peux me tromper mais pour moi tout était déjà joué..."

A deux jours de la fin du Giro qu'il s'apprête à remporter après avoir triomphé à l'Alpe di Pampeago et à Madonna di Campiglio coup sur coup, le Pirate est contrôlé positif. Taux d'hématocrite de 51,9 alors que le maximum est de 50. Les choses paraissent limpides mais c'est tout le contraire. Déjà, au cours de l'épreuve, Pantani avait été contrôlé alors qu'il portait le Maillot Rose et son taux d'hématocrite était de... 46. Les machines utilisées à l'époque obtenaient des résultats qui pouvaient fortement varier. Savoldelli évoque une différence de 1,3 entre la mesure officielle et celle effectuée avec son équipe : "en altitude, le taux peut s'élever naturellement de 2 à 3 points et retomber aussitôt car le corps perd du liquide, nous les coureurs, le savons par expérience". Avec la tolérance d'un point énoncée par l'UCI, Pantani s'en serait sorti pour 0,9 de moins. Or il s'est avéré que le protocole n'a pas été suivi à la lettre : l'échantillon n'a, par exemple, pas été mis directement dans la valise réfrigérée mais... dans la poche du contrôleur. 

S'il est revenu par la suite en compétition, ce 5 juin 1999 marque une rupture dans sa vie. Sa chute s'achèvera sur la "Riviera dello sballo", la côte des vices, dans cette Rimini lugubre en hiver. Mauvaises fréquentations, cocaïne, paranoïa, crises de délire : Pantani a sombré, lui qui estimait avoir perdu sa dignité. Il ne s'en est jamais relevé, sans que cela n'émeuve personne parmi les dirigeants italiens, politiques et sportifs, ni le milieu du vélo toujours admirable de mémoire sélective. 

Mémoire courte

Pantani était un cycliste comme les autres en matière de pratiques illicites. Pas un exemple ou un chevalier blanc mais assurément pas le pire de ce qui a pu se faire dans les années 90 où se côtoient la Gewiss dans la Flèche Wallonne 1994 ou Bjarne Riis "Monsieur 60%", incapable de monter un pont et subitement devenu un vainqueur du Tour en 1996, au plus fort de l'usage de l'EPO dans le peloton.

Quant à la résurrection d'Armstrong, il n'y a jamais cru. Et outre le comportement arrogant de l'Américain dans le Ventoux en 2000 où il a laissé la victoire au Romagnol ("il voulait bien me laisser gagner mais il fallait que tout le monde le sache", dit-il), c'est le manque de mémoire du Texan qui lui était resté en travers de la gorge. En effet, en 1996, L.A. était en chimiothérapie, sans emploi, et Pantani lui avait proposé de venir dans son équipe, la Mercatone Uno : "je n'avais pas aimé la façon dont les Cofidis l'avaient licencié, s'était-il épanché en 2002 auprès de Brunel. Je le lui avais fait savoir et j'étais prêt à lui venir en aide. Mais il semble qu'il ait tout oublié. Or tout ça n'est pas si vieux. On parle de choses qui remontent à 4 ou 5 ans tout au plus"

"Béatifié puis répudié" comme l'a écrit Philippe Brunel. "Dans le flot des commentaires plus ou moins sommaires que ce drame engendra, il n'y eut pas grand monde pour le défendre, écrit l'ancien journaliste de l'Equipe, très fin connaisseur du cyclisme italien qui rencontra de nombreuses fois le Pirate, pendant et après sa carrière. Ceux qui s'étaient montrés si prompts à louer sa grandeur quand il représentait une vraie force économique ne jugèrent pas utile d'assister à ses obsèques". Carmine Castellano, le patron du Giro ? Bloqué dans la circulation sur la route de Cesenatico, la ville natale de l'idole déchue. Hein Verbruggen, le boss de l'Union Cycliste Internationale dont on découvrira, quelques années plus tard, que Lance Armstrong l'avait corrompu pour étouffer des contrôles positifs, n'avait même pas daigner se faire excuser. Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour qui avait remercié Pantani d'avoir littéralement sauvé la Grande Boucle 1998 après le séisme Festina ? Représenté et dispensé. "Cette mort ne les concernait plus. Elle brassait trop d'interdits, de choses inavouables". 

Jamais oublié

Alors que le peloton l'avait appelé à la rescousse pour parler aux organisateurs au début de l'épreuve car le Comité Olympique National Italien (CONI) avait décidé, par zèle, de pratiquer des contrôles en plus de ceux de l'UCI, Pantani s'est retrouvé seul. Léché, lâché, lynché par son milieu en raison d'une omerta où sa personnalité entière et volontiers provocatrice dérangeait. 

Porté aux nues puis voué aux gémonies, Pantani a reçu un traitement de défaveur, victime expiatoire d'un système qui, sous couvert de lutte anti-dopage après avoir si longtemps sciemment fermé les yeux, s'est complu dans les faux semblants et l'hypocrisie. Mais comme tous les crucifiés, il est devenue une icône absolue, quasiment mythologique, lui le personnage digne d'une tragédie grecque. 

L'homme qui grimpait vite pour, selon ses propres termes, "abréger mon agonie", a toujours son nom écrit à la peinture blanche sur toutes les routes des grands cols. Une manière de rappeler au commun des mortels qu'ils ne seront jamais au niveau du Pirate. Une façon, presque militante, de montrer que le champion demeure une figure fragile, en proie à ses propres démons et loin du stéréotype du surhomme inébranlable. Ceux qui sont parvenus à détruire Pantani n'ont pas réussi à lui retirer son héritage, même 20 ans après cette maudite Saint-Valentin. 

France gouvernement

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