Interview Flashscore - José María Amorrortu (découvreur de Rodri) : "Il a toujours eu cette intelligence dans le jeu"
Flashscore : Vous avez été le premier à voir tout le potentiel de Rodri, son Ballon d'Or doit vous faire extrêmement plaisir !
José María Amorrortu : effectivement, je le connais depuis longtemps, j'ai vu comment il a grandi, tout le chemin qu'il a accompli. Il a beaucoup de mérite. Il a été très bien formé et je suis vraiment très heureux pour lui qu'il soit ainsi récompensé.
Quand vous le découvrez, vous travaillez à l'Atlético de Madrid et Rodri évolue au Rayo Majadahonda dont les installations sont voisines.
Le Rayo Majadahonda a un accord de partenariat avec l'Atlético de Madrid et leurs installations étaient séparées de 500 mètres. C'est quasiment annexe car même si les deux clubs ne partagent pas les mêmes terrains d'entraînement chez les pros, c'est le cas pour les matches (l'équipe masculine du Rayo et l'équipe féminine de l'Atlético jouaient sur la même pelouse). La catégorie alevin (catégorie U12 en Espagne, ndlr) faisait son initiation chez nous et certains joueurs pouvaient donc avoir un projet avec nous. C'est ce qui s'est passé avec Rodri. J'ai parlé avec son père qui m'a dit qu'ils n'envisageaient pas un mouvement de ce niveau. Ils nous ont remercié mais, même s'ils n'écartaient pas la possibilité d'aller plus haut, ce n'était pas encore le moment. Il est resté au Rayo mais on a continué à le suivre. A la fin de la saison, nous avons reparlé avec Rodri et sa famille et il est venu chez nous pour se développer.
Quel joueur était-il à cette époque ?
C'était un garçon qui a toujours eu ce talent et cette intelligence dans le jeu, pour prendre des décisions au bon moment. Au niveau physique, pour un garçon qui n'était pas encore fini, il fallait avoir de la patience. Je suis parti de l'Atlético par la suite et dans un tel cas, les groupes d'entraîneurs changent aussi à ce moment-là. Je ne peux pas vous l'expliquer en détails puisque je n'étais plus là mais Rafa Juanes, qui travaillait avec moi, est parti à Villarreal et Rodri l'a suivi. Là-bas, il s'est développé et il a rapidement montré toutes les qualités qu'on avait vu en lui au départ. Et il est finalement retourné à l'Atlético qui a payé sa clause de 25M€.
Dans ses propos dans les interviews ou comme ce fut le cas lors de la cérémonie de remise du Ballon d'Or, Rodri apparaît comme quelqu'un de très réfléchi. C'est un marqueur de sa personnalité ?
Chez Rodri, il y a tout ce que l'on peut voir sur le terrain mais il y a aussi tout ce que l'on ne voit pas, c'est-à-dire la personne qu'il est. Elle est encore meilleure que le joueur. Il est mature, responsable, avec des valeurs, il n'oublie pas son passé. Au-delà de sa grandeur footballistique, c'est quelqu'un de très humble. C'est un modèle, un exemple. Je suis ravi de ce qui lui arrive, pour tout ce qu'il est.
Entre Villarreal avec Marcelino, l'Atlético avec Diego Simeone et Manchester City avec Pep Guardiola, Rodri a été entraîné chez les professionnels uniquement par des milieux de terrains qui ont chacun un style différent. Cela a compté dans son ascension ?
Absolument. Depuis que je le connais, Rodri a toujours cette intelligence pour voir le jeu. Il avait ce gêne au plus profond de lui. Alors avoir eu de tels entraîneurs, cela l'a nourri pour améliorer ses capacités et devenir le joueur qu'il est devenu. Il y a une base cognitive, une personnalité, des facultés liées à son caractère et une facilité pour assimiler. Comme c'est un garçon très ouvert, il a toujours été préparé pour apprendre de nouvelles choses. C'est vraiment un trait à souligner et à mettre en exergue chez Rodri.
Et puis il a aussi eu des modèles incroyables entre Bruno Soriano à Villarreal, Koke et Gabi à l'Atlético. Mais, en plus, il a ajouté un aspect offensif à son registre initial, ce qui le différencie d'un Sergio Busquets qu'il a côtoyé en sélection.
Sans faire un grand effort de mémoire, je me souviens qu'il a marqué des buts décisifs avec Manchester City alors que sa position est d'ordinaire apparentée à un rôle défensif. Sur l'axe de construction d'une équipe, c'est lui qui fait le jeu car il est capable précisément de la faire jouer. Et ça, ce n'est pas tout le monde qui l'a. Aussi bien dans une position défensive comme on a pu le voir lors du Mondial ou du dernier Euro que dans un placement plus offensif, il peut se le permettre parce qu'il comprend toutes les facettes du jeu en lui-même.
Vous évoquez le Mondial 2022 : Luis Enrique l'a positionné défenseur central, pour ses aptitudes défensives mais aussi, voire surtout, pour sa qualité dans la première relance.
Sa polyvalence lui permet d'être très fonctionnel dans de nombreuses parties du terrain. Sa première relance, sa première transition après la récupération du ballon, il les fait tellement bien ! Rodri a une vision très global du terrain, ce qui lui permet de prendre la bonne décision, avec précision.
Lundi soir sur scène, Rodri a affirmé que c'était la victoire des milieux de terrain. Or il sort des clichés des joueurs espagnols qui ont marqué le début du XXIe siècle : il n'est pas un petit format contre Xavi ou Andrés Iniesta et il est beaucoup plus tourné vers les tâches offensives que Busquets.
Ce Ballon d'Or récompense toute la palette de Rodri. Il sait tout faire et il fait tout très bien. C'est un joueur hors-classe. Pour moi, il évolue à 360 degrés, c'est ce qu'il y a de plus difficile et ils ne sont pas nombreux dans le monde à pouvoir se vanter d'une telle vertu.
Sur les réseaux sociaux en Espagne, certains ont rappelé que Real Madrid a un temps envisagé sa venue en 2019 avant qu'il ne rejoigne Manchester City mais que Florentino Pérez le trouvait trop lent, ce qui a fini de l'écoeurer lundi au point d'annuler la venue de la délégation merengue !
(Rires) C'est la vision propre à chacun. Il faut savoir différencier la vitesse physique et la vitesse que tu donnes au ballon et au jeu. Rodri peut impulser de la vitesse sans courir et je trouve ça incroyablement important.