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Interview - Renaud Longuèvre : "Kiptum vaut moins de 2h sur marathon, c'est vertigineux"

Kelvin Kiptum, début de règne ou comète du marathon ?
Kelvin Kiptum, début de règne ou comète du marathon ?Profimedia
Ancien entraîneur de Ladji Doucouré, Muriel Hurtis et Eloyse Lesueur notamment, Renaud Longuèvre est depuis 2018 le directeur de la haute performance de l'équipe nationale d'Israël. Pour Flashscore, il expose son ressenti sur la performance majuscule du Kenyan Kelvin Kiptum, vainqueur du marathon de Londres en 2h1'25'' à seulement 23 ans.

Flashscore : Le 23 avril dernier, Kelvin Kiptum a signé un chrono monumental de 2h1'25'' sur le marathon de Londres, à seulement 16 secondes du record du monde d'Eliud Kipchoge. Alors que la maturité sur la distance est traditionnellement tardive, ce qu'il a réalisé à uniquement 23 ans est prodigieux.

Renaud Longuèvre : C'est phénoménal, il ne faut pas se le cacher. Ce qui impressionne le plus, c'est la répartition des deux semi-marathons car il a couru beaucoup plus vite la deuxième partie (59'45'). C'est la première fois qu'un homme court la distance en negative split à une telle vitesse. C'est juste hallucinant. Autant d'écart, ça laisse penser qu'il vaut en dessous des 2h en compétition. Eliud Kipchoge l'a fait mais dans des conditions spéciales (1h59''40 à Vienne, le 12 octobre 2019, ndlr), avec des lièvres qui se relayaient. Ce n'était pas lors un marathon classique. Kiptum vaut moins de 2h en départ en ligne, c'est vertigineux. 

Pour passer sous les 2h, Kipchoge avait utilisé des chaussures avec semelles en carbone développées par Nike qui avaient fait débat quant aux gains de temps importants. Les chronos sont amenés à baisser inéluctablement ?

C'est statistique et les données sont implacables : il y a eu une accélération massive des performances sur marathon avec ces chaussures. On se focalise sur la plaque carbone mais il n'y a pas que ça, il y a aussi des propriétés élastiques qui offrent des rendements importants. Néanmoins, toutes les marques se sont un peu copiées et, sur route, il n'y en a plus une au-dessus des autres. 

Kiptum est Kenyan et, vu le contexte actuel, sa nationalité entoure sa performance de suspicions, d'autant qu'il s'entraîne seul.

À l'image du cyclisme, l'athlétisme a connu de nombreuses affaires de dopage. Récemment, l'unité d'éthique de la fédération internationale a communiqué sur la suspicion d'un dopage organisé au Kenya et en Russie. Ce sont malheureusement des choses qui flottent dans l'air.

Comment croire qu'il échappe à cette dynamique mise à l'index par les instances ?

Ce qui plaide en sa faveur, c'est qu'il est très jeune. Il fait penser à Samuel Wanjiru, un très grand talent devenu champion olympique en 2008 en étant junior (2h6'32'', ndlr) et mort dans des conditions tragiques (vraisemblablement victime d'un meurtre en 2011 à 24 ans, ndlr). Ce qui interpelle chez Kiptum c'est que, contrairement à Kipchoge, il n'a aucune référence sur piste. Il a peut-être commencé l'athlétisme très tard. C'est possible même si, généralement au Kenya, ceux qui courent vite n'échappent pas à la course à pied. Kipchoge a été champion du monde du 5000 en battant Hicham El-Guerrouj et Kenenisa Bekele. Ce n'était donc pas surprenant de le voir performer sur marathon, comme Bekele ou Hailé Gebreselassie. Or Kiptum échappe à cette filière-là. Quand on va sur sa fiche World Athletics, il n'y a quasiment rien, ça remonte à seulement 2-3 ans, avec un semi, un 10 km sur route à 28'20, ce qui aujourd'hui est ridicule parce qu'il court plus vite à l'intérieur de son marathon (27'50 entre les 30e et 40es kilomètres à Londres, ndlr). Il y a eu une accélération foudroyante de ses performances ces deux dernières années à l'entraînement. 

Vous évoquez Samuel Wanjiru. C'était un talent inné qui a été rattrapé par sa célébrité. Kiptum peut-il pâtir de son nouveau statut ?

L'avenir dira s'il est juste une comète ou s'il s'inscrira dans la durée. Le recordman du monde du marathon jusqu'aux 2h1'15'' de Kipchoge était Dennis Kimetto (2h2'57'' à Berlin en 2014) et il n'avait aucune référence sur piste non plus. Il est arrivé de nulle part et... il est retourné nulle part (il a remporté Tokyo, Chicago et Berlin, 3 Majeurs, entre 2013 et 2014, terminé 3e à Londres en 2015 en 2h5'50 et n'a plus signé un chrono sous les 2h10' ensuite, ndlr). À présent, Kiptum est attendu pour gagner des titres, devenir champion olympique. 

Le parcours des JO 2024 proposera une incongruité pour un marathon moderne : la côte du pavé des Gardes empruntée par Paris-Versailles (1 km à 10 % de moyenne). Il n'y aura pas de gros chronos, rendant la course encore aléatoire. Il y a un côté old school car il y a 40 ans, le marathon de Paris passait par les 20 mairies d'arrondissements. 

En championnat, c'est toujours tactique car il n'y a pas de lièvres. En plus, effectivement, il y aura cette côte inhabituelle car on n'est plus habitué à avoir du dénivelé sur la distance. Cela impliquera un travail d'entraînement spécifique. La quête des chronos a lissé les parcours et c'est bien qu'en championnat, on n'ait pas peur de choisir de telles options.

Kiptum a mis 3 minutes à la concurrence à Londres au prix d'un deuxième semi-hallucinant. Comment arrive-t-on à générer une réserve de vitesse qui soit exploitable après le mur du 30e km ?

Il y a différentes méthodes mais, aujourd'hui, les marathoniens effectuent un travail de force pour s'améliorer sur la filière anaérobique. C'est un domaine qui s'est amélioré. Je le constate avec Lonah Salpeter qui a terminé 3e aux championnats du monde en 2022 (en 2h20'18'', ndlr) et qui a un record en 2h17'45 (à Tokyo en 2020) et qui, 3 jours avant un marathon, peut soulever 80, 85, 90 kg en salle de musculation alors qu'elle pèse à peine 50 kg. C'est une dimension qui a été intégrée par les marathoniens. Le travail de force n'est plus l'apanage des sprinters. 

L'athlétisme est un sport mathématique mais peut-on se départir des données chiffrées malgré tout, qui plus est sur marathon ?  

Le juge de paix reste le chrono. Tous les marathoniens font du spécifique. Ils ont en tête des allures au kilomètre qu'ils répètent de manière bien précise. Par exemple, ça sera du 5x3 km à 3 minutes au kilomètre. Pour des coureurs de très haut niveau, ça peut même aller plus vite. Kipchoge peut faire des séquences à 2'50 au kilomètre. Il y a aussi des cycles plus lents pour ne pas enrayer la machine, en-dessous des allures de compétition. Ensuite, il y a des objectifs de chrono sur des marathons traditionnels qui sont différents de ceux de championnats où il y a plus d'attaques, un peu comme en cyclisme, avec des stratégies différentes concernant l'allure.  

En termes de répétition d'efforts, on pensait que le nombre maximal de marathons en un an était de deux, mais on s'aperçoit que Kiptum a été capable de répéter deux gros chronos en 4 mois. Courir 3 voire 4 fois dans l'année peut devenir une nouvelle norme ?

Deux marathons, c'était la règle mais cela évolue. Dans mon équipe, Maru Teferi a fait 11e des Mondiaux à Eugene en 2h7'59'' alors qu'il est tombé et il valait, selon moi, aux alentours de la 8e place. Il est reparti en altitude avec le groupe qui préparait les Europe alors qu'il n'y avait que 4 semaines entre les deux épreuves. Ses jambes répondaient bien et on avait l'ambition de faire une médaille par équipe à Munich. On l'a donc aligné, il a terminé 2e en 2h10'23'' et on a remporté l'or (avec Gashau Ayale 3e, Yimer Getahun 7e et Girmaw Amare 9e). Il a refait un marathon en novembre à Fukuoka (2h6'43'', record personnel, ndlr) mais on lui a dit que jusqu'aux Mondiaux de Budapest (19-27 octobre), il sera tranquille et se contentera de disputer des 10 km et des semis.

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