Interview - Ségolène Lefebvre (championne du monde de boxe) : "À se demander si on est né dans le bon pays"
Flashscore : Vous avez repris votre titre mondial WBO en avril contre Debora Anahi Dionicius après que la fédération vous a destituée après une fracture du pouce. Des choses ont-elles changé dans votre défense contre Tysie Gallagher ?
Ségolène Lefebvre : je n'ai pas particulièrement changé de fonctionnement, mais ce qui a évolué c'est l'aspect technico-tactique par rapport à mon adversaire. Ce sont toujours mes coaches qui visionnent les combats de mon adversaire, ils me détaillent leur analyse et on met ensuite la meilleure des stratégies en place. Ça fait plusieurs années que je suis la même ligne directrice mais on essaye toujours d'évoluer pour en faire un peu plus et progresser. Je suis toujours mes plannings et je donne de le meilleure de moi-même. Ce n'est pas nécessaire de changer une formule qui marche mais peut-être que d'ici quelques temps, il faudra revoir des choses. Mais pour le moment tout va bien donc on garde le cap.
Au quotidien, cela se traduit comment ?
J'ai toujours mon entraîneur Robert Pantigny mais il y aussi plusieurs coaches au sein de mon club à Douai. Humbert prépare mon planning mais je travaille aussi avec mon frère Barthélémy qui m'aide aussi beaucoup, notamment pour la leçon mais aussi d'autres séquences. Robert garde toujours un oeil.
Vous affrontez Tysie Gallagher qui disputera son 8e combat. Vous êtes plus expérimentée et en plus vous boxez devant votre public à Douai. C'est un avantage ?
J'ai toujours boxé à la maison et c'est toujours mieux parce qu'on n'a pas à voyager et à préparer tout cet aspect-là. Gallagher n'a que 7 combats mais ça ne veut rien dire. En championnat du monde, j'ai déjà affronté des filles qui avaient plus de 40 combats alors que j'en avais 9 ou 10 et ça ne m'a pas empêché de les battre. Quoi qu'il en soit, je ne prends jamais personne à la légère.
Vous êtes revenue physiquement depuis combien de temps pour préparer ce combat ?
C'était il y a trois mois pour remettre doucement la machine en route, pour réhabituer le corps à l'effort pour ne pas le traumatiser et éviter les blessures. Il ne faut pas le faire par à-coups mais petit à petit.
L'époque des boxeurs qui reprenaient beaucoup de poids juste après un combat est révolue ?
Je reprends du poids mais il ne s'agit pas de 10 ou 15 kilos. Je n'ai jamais fait de cutting, j'ai toujours été au poids en temps et en heure. Simplement, mon alimentation se réduit et devient plus saine. Et avec l'entraînement, je perds au fur et à mesure de la préparation. Je ne suis pas une super-coq naturelle (122 livres, soit 55,34kg, ndlr), je suis assez grande (1.68m), je serais plus aux alentours des 59-60kg en poids naturel. Pour le moment, je suis bien dans cette catégorie, je n'ai pas besoin de monter pour le moment.
Le sparring est toujours délicat à organiser. C'est le cas pour les hommes mais ça doit l'être encore plus chez les femmes ?
Pour cette préparation, ça a été compliqué de trouver des sparrings filles, donc j'ai plus tourné avec des garçons. Ça n'a pas pu se faire avec Delfine Persoon (classée #1 en super-plume (130 livres soit 58.97kg) par Ring Magazine, ndlr) donc j'ai surtout mis les gants avec des garçons.
C'est un avantage ou un inconvénient ?
Un peu des deux. Les garçons ne boxent pas comme des filles. C'est un avantage car un garçon est plus fort physiquement mais aussi au niveau de la rapidité. Ça me pousse à me surpasser parce que je n'ai pas le temps de gérer, alors que je peux le faire face à une fille. Mais le problème quand on boxe un garçon, c'est que les coups n'ont pas le même impact et on se rend moins compte de l'efficacité. Le mieux est tout de même de sparrer avec des filles car on est plus proche de la réalité du combat à venir.
Le combat sera visible en PPV sur la plateforme "A boxing nation" mais sur aucune télévision. En termes financiers, disputer une championnat du monde WBO est-il rémunérateur ?
En France, on ne vit pas de la boxe, encore moins chez les filles. Si j'ai du temps pour compléter mon salaire, je le fais. Je ne vais pas dire combien je gagne pour ce combat, je ne le dis jamais, mais ce n'est pas suffisant pour pouvoir en vivre pleinement.
En tant que numéro 1 des super-coq pour Ring Magazine, est-ce que vous attendez un grand combat en Angleterre ou aux États-Unis, ou même en France dans une grande réunion ?
Pourquoi pas mais j'attends surtout la bonne proposition. Je ne vais pas aller boxer là-bas juste pour dire que je l'ai fait. Même si c'est dans une grande salle ou un stade, il faut que ça vaille le coup de se déplacer, avec un contrat intéressant et un bon combat. En France, c'est trop limité. En Angleterre, il y a une grosse réunion toutes les semaines et chez nous c'est deux par an. Ce sont deux mondes incomparables. Ce retard est quasiment impossible à combler alors qu'on a des boxeurs d'un excellent niveau. C'est à se demander si on est né dans le bon pays parce qu'ailleurs, sans aller à dire qu'on serait des stars, on serait au moins reconnus. Et puis la boxe, ce n'est pas comme le football où il y a des matches tous les weekends. Il faudrait faire un suivi des boxeurs entre deux combats parce que sinon, sans médiatisation, les gens vous oublient.