Jonah Lomu, mythe absolu du rugby sans couronne mondiale
Xavier Garbajosa n'était pas le dernier pour la chicore mais, après tout, personne n'a envie de prendre un Airbus pleine balle dans le buffet. L'image est restée, quand bien même la France a terrassé les All Blacks lors de cette fameuse 1/2 finale de Coupe du monde 1999 : Jonah Lomu et Jeff Wilson s'échangent la balle dans le fermé avant que l'ailier ne mette les cannes et aille percuter. Lancé, il fonce sur "Garba" qui, par réflexe, s'efface pour éviter la collision. Lomu inscrit son 2ᵉ essai du match, la cabane est tombée sur le chien mais les Néo-Zélandais tomberont sur Titou Lamaison. À la baguette, le Dacquois conduit les Bleus vers un succès inédit qui, près d'un quart de siècle plus tard, reste le chef-d'œuvre par excellence du French Flair.
Lomu ne le sait pas encore : il a inscrit son tout dernier essai en Coupe du monde, à 24 ans.
L'image du rugby mondialisé
Flashback en 1995. La Nouvelle-Zélande affronte l'Angleterre en 1/2 finale de la Coupe du monde. Lomu renverse tout, au propre comme au figuré. Dès la 2ᵉ minute du match, il raffute Tony Underwood, devance Will Carling et fait valdinguer Mike Catt plein fer avant de marquer. Le début d'un festival : 4 essais et une victoire 45-29.
1,96 m de hauteur pour 116 kg de viande : le natif d'Auckland aux origines îliennes (Tonga, Samoa et Wallis) a un gabarit de 2ᵉ latte mais il est inarrêtable en bout de ligne. Initié au XIII, passé par le Sevens, il sème le terrain à XV. La Nouvelle-Zélande a engendré un phénomène et, avec seulement deux capes au compteur, il fait partie du voyage en Afrique du Sud.
La légende se confond avec la réalité lors de cette 3ᵉ Coupe du monde disputée dans la nation arc-en-ciel tout juste de retour parmi le concert international après des années d'apartheid. Les Springboks sont passés en finale de manière opaque, alors qu'Abdelatif Benazzi avait vraisemblablement inscrit l'essai de la gagne pour les Bleus. Devant Nelson Mandela, prisonnier politique devenu président emblématique, les All Blacks sont battus sans marquer le moindre essai. En prolongation, Joel Stransky inscrit le drop de la gagne. On ne saura jamais si Lomu et ses coéquipiers ont été opportunément malades ce jour-là, si les Springboks étaient boostés à leur insu, mais les All Blacks attendront 2011 pour remporter à domicile, comme en 1987, leur deuxième trophée.
À ce moment-là, Lomu s'est retiré des terrains il y a plusieurs années. Dyalisé trois fois par semaine depuis 2003, le phénomène a perdu de sa superbe. Après avoir arrêté deux ans, il a bien tenté un baroud d'honneur, au Marseille-Vitrolles en Fédérale 1. Une poignée de matches comme 8 ou centre et l'aventure s'achève. Grignoté par la maladie, il n'est plus celui qui peut résister à plusieurs joueurs, capables de les prendre sur son dos et d'avance encore et toujours vers la ligne d'en-but.
L'homme est un colosse aux pieds d'argile mais le joueur reste un mythe, malgré un palmarès en-deçà de ce qu'il a pu représenter (deux Super 12 avec les Blues d'Auckland, un championnat de provinces néo-zélandaises avec les Hurricanes de Wellington, 3 Tri-Nations). Malgré tout, il s'est inscrit dans la rétine de tous ceux qui l'ont vu ballon en main. Lomu a transcendé et ouvert le monde du rugby à l'international alors que l'Ovalie découvrait le professionnalisme.
Star globale d'un sport de niche, il avait tout pour lui : le talent, la vitesse, la force, le sourire carnassier qui va avec son physique hors-norme et le maillot des All Blacks. En 1997, il a même donné son nom à un jeu vidéo de Codemasters qui, encore aujourd'hui, reste un classique.
Victime d'une crise cardiaque, il décède le 15 novembre 2015. Lomu a permis à son sport de franchir les frontières, de bénéficier d'une exposition mondiale au moment où le rugby en avait un besoin essentiel. Un roi sans couronne certes, mais quel roi !