La formidable odyssée marseillaise à Munich racontée par ceux qui l'ont vécue
Trente ans après, les souvenirs sont enfouis mais encore ancrés. De Marseille à Munich, ce fut tout une expédition pour assister à cette finale de Coupe d'Europe, pour supporter l'OM et aussi conjurer le sort. Deux ans plus tôt, la défaite contre l'Etoile rouge de Belgrade à Bari est encore bien en travers du gosier. Mais si, en 1991, les Olympiens sont favoris, la donne est tout à fait différente en 1993. En face, c'est le grand Milan de Silvio Berlusconi.
Pour autant, ce n'est pas une raison pour manquer de ferveur. Thierry, abonné aux Yankees à l'époque, a rallié la Bavière en train : "on est parti en train de la gare Saint-Charles et on a voyagé toute la nuit. C'étaient des trains-couchettes mais on n'a pas beaucoup dormi parce qu'il y avait déjà beaucoup d'ambiance". De l'arrivée à Munich au coup d'envoi, il y a beaucoup de temps à attendre : "on est arrivé le matin à Munich, vers 9-10h et il y avait un grand parc juste à côté du stade".
"Berlusconi, une rock star"
François, lui, est monté en avion. Peu importe le moyen de locomotion, sitôt arrivé, les Marseillais se retrouvent là, sous une chaleur écrasante : "c'était mélangé entre Marseillais et Milanais, c'était vraiment super". Thierry confirme : "il n'y a eu aucun problème contrairement à 1991 avec les supporters de l'Étoile rouge où il y avait eu des bagarres. C'était bon enfant". Mais aussi exalté soit-il, le contingent marseillais se rend bien compte que le Milan est impressionant sur le terrain mais aussi en dehors : "du noir et du rouge partout, on commençait à se dire qu'on n'allait pas être nombreux côté Marseillais".
Pour François, l'image marquante de l'avant-match est la comparaison entre Bernard Tapie et Berlusconi. "On est entré dans le stade très en avance et on voyait les joueurs qui venaient reconnaître la pelouse, resitue-t-il. Et là, Tapie sort et des journalistes viennent pour prendre des photos. Un quart d'heure après, Berlusconi arrive et là, il y avait 5 fois plus de journalistes. Une rock star. Là tu te rends compte que tu es loin d'être le favori. C'est le grand Milan. Ça faisait peur, on était dans nos petits souliers".
Placé en quart de virage du côté où Abedi Pelé a frappé le corner décisif, Thierry se remémore "une première période où on était vraiment crispé et on pensait qu'on se ferait manger tout cru. Mais on voyait que les joueurs tenaient le coup. Après l'euphorie du but, on a senti que, même si ce serait dur, il n'allait rien nous arriver, que le plus dur était fait".
La suite du match, c'est beaucoup de stress, des allers-retours entre la pelouse et l'horloge : "jamais le temps n'a défilé aussi lentement, en rit encore Thierry. Et puis il y a le coup de sifflet final, la délivrance, on s'embrassait tous, beaucoup pleuraient, on était aux anges". François a un point de comparaison : la finale du Mondial 98 cinq ans plus tard : "Le match est très serré, tu trembles sans arrêt et le match ne finit jamais. J'étais au Stade de France pour France-Brésil : je me suis fait plaisir mais je n'ai pas frémi comme ça, sans doute aussi en raison du scenario. À Munich, c'est beaucoup de souffrance et, à la 90e minute, la délivrance".
"Une ferveur inégalable"
Les agapes n'ont fait que commencer. Et tout au long du voyage retour, les Marseillais se rendent compte que la France est fière avec eux. "Fantastique" est le premier mot qui vient à l'esprit de Thierry : "on s'est arrêté, 10, 15, 20 fois dans les gares parce qu'on avait toujours peur que quelqu'un passe sous le train (rires). Je me souviens qu'il y en a un qui avait réussi à prendre le micro pour s'adresser à tout le train et qui chantait. Quand on traversait les gares françaises, à l'aller et au retour, on nous applaudissait quand on voyait nos drapeaux bleu et blanc qui sortaient des fenêtres".
Le retour de François et sa bande est moins glorieux mais niveau galéjade, ce n'est pas mal non plus : "on est arrivé à l'aéroport de Marignane vers 3-4h du matin, on est rentré à Marseille avec la voiture du copain mais... on est tombé en panne. Alors on est bien rentré à Marseille en voiture mais sur la dépanneuse !".
Le train arrive en fin de matinée et pour prolonger la fête, ça s'est passé au Vélodrome pour la présentation de la coupe. "Trois jours après, il y a OM-PSG avec Boli qui marque une nouvelle tête diabolique. En 4 jours, il est devenu un Dieu, lui qui avait pleuré à Bari", raconte François. "De tous les matches que j'ai vu au Vélodrome, c'est celui où il y a eu le plus d'ambiance, assure Thierry qui a un nombre incalculable de matches et de déplacements au compteur. À Marseille, c'est incroyable, on dormait très peu, tout le monde était souriant, heureux, les problèmes du quotidien n'existaient plus".
Trente ans après, l'OM reste encore le seul club français à avoir remporté la coupe aux grandes oreilles. "Je suis convaincu qu'avec des moyens, l'OM ferait mieux que le PSG parce c'est fusionnel avec Marseille", assure François. Thierry conforte son avis : "il y a une passion différente avec l'OM. Il n'y a aucun autre sport à Marseille à part le football alors que c'est la 2e ville de France. À la même époque, il y avait eu l'OM-Vitrolles en handball mais ça a périclité. C'est une ville qui ne vit que pour son club de foot, aussi bien pour le gamin de 10 ans que pour la mamie de 90. Je me souviens que, quelques jours avant la finale, je suis dans un restaurant et à côté de nous il y avait une table de personnes très âgées qui ne parlaient que du match. Une telle ferveur est quasiment inégalable".
Même si la révélation de l'affaire VA/OM a été le début de la fin, les souvenirs de cette journée mémorable, eux, ne peuvent être entachés. Ils y étaient et ça, c'est à vie. Être à jamais les premiers, ça n'arrive pas tous les jours.