Le haut niveau en manque d'oxygène par temps d'austérité pour l'Argentine avant les JO
Alors la spécialiste argentine de la brasse, qui compta trois records d'Amérique du Sud, perd ces temps-ci "trois heures et demie par jour en voiture" pour aller s'entraîner dans un club à Villa Ballester, en grande banlieue.
"C'est pareil tous les hivers", se résigne la nageuse de 28 ans, qui vivra à Paris ses premiers Jeux olympiques. La piscine du Cenard (Centre national de haute performance) compte trois pompes à chaleur, dont une seule fonctionne d'habitude. Ou plutôt, fonctionnait.
Le sport de haut niveau tire la langue en Argentine, dans un contexte national d'inflation et d'austérité budgétaire, qui a vu, par exemple, le budget de l'Enard, l'entité de haute performance, gelé au niveau de 2023. Alors que l'inflation sur douze mois a atteint 289 %...
"Dans un pays comme l'Argentine d'aujourd'hui, avec des gens qui ne mangent pas à leur faim, on est bien conscient qu'il y a d'autres priorités", reconnaît auprès de l'AFP Diogenes de Urquiza, directeur de l'Enard depuis janvier, tout en soulignant que le mauvais état du Cenard ne date pas d'aujourd'hui. "On y travaille..."
Paris, mais après ?
Alors, à l'approche des JO et dans ce contexte de ressources limitées, il a fallu faire des choix. D'abord, "garantir qu'il ne manque rien aux athlètes déjà qualifiés (pour les Jeux) ou avec des chances de l'être", convient Walter Perez, cycliste médaillé d'or à Pékin 2008, et président du Conseil des athlètes de haut niveau.
Après, au-delà de Paris, ce sera une autre histoire. "Pas la fin du sport en Argentine", non, mais "il faudra voir des façons d'obtenir davantage de fonds pour l'ensemble du sport", prévient M. Perez. Car du côté de l'État, aujourd'hui dirigé par le président ultralibéral Javier Milei, le message est clair : "Il n'y a pas d'argent".
Ces derniers mois, plusieurs athlètes et référents du sport argentin ont exprimé leur inquiétude quant à l'état du Cenard, aux bourses et aux subventions taries, et plus généralement à l'avenir du sport amateur.
En mai, la judoka Paula Pareto, en or à Rio 2016 et entraîneuse de jeunes, a renoncé à sa bourse pour en faire profiter d'autres athlètes, après la décision du Secrétariat aux Sports de réduire de 18 à 4 le nombre de judokas soutenus financièrement.
"Quand tu es athlète, on exige de toi des résultats, mais à chaque fois on te donne un peu moins", s'est plainte la championne, médaillée aussi à Pékin 2008. "La création de l'Enard (en 2009) avait été un appui important, mais de nos jours, c'est compliqué…"
Le Secrétaire aux Sports Julio Garro, lui a sèchement répliqué que "sans doute consommée par son désir et sa quête d'excellence (...) (elle) en oublie ou minimise les efforts que fait l'État".
"Garder la lumière allumée"
À des années-lumières des footballeurs millionnaires champions du monde, quelque 1 200 athlètes et entraîneurs argentins, olympiques et paralympiques, se partagent des bourses variables, en moyenne de 325 000 pesos (354 dollars) mensuels. Pas vraiment la Lune, même dans un pays au salaire minimum à 255 dollars. "Mais on vit de ça", souligne la nageuse Macarena Ceballos.
La devise du sport argentin, sourit-elle, pourrait être "Contre vents et marées". "Les choses n'ont jamais été faciles, et pas qu'aujourd'hui. Pourtant il y a toujours eu des médailles, des finalistes olympiques", dit-elle, rêvant toujours d'une "vraie politique d’État" du sport.
Guère à l'ordre du jour, avec un gouvernement "clair sur le fait que l’État se retire, à la société civile et au privé de gérer !. Mais combien de sports sont à même de vivre des seules lois du marché ?", se demande pour l'AFP Jon Uriarte, volleyeur médaillé à Séoul 1988, entraîneur réputé, et voix critique.
"Combien d'Argentins peuvent payer une licence de club à leur enfant ?" insiste-t-il, soulignant l'impératif d'aider – que ce soit l’État, ou pourquoi pas via une taxe sur le merchandising sportif – à "garder la lumière allumée" dans le vivier de 12.000 clubs de sport d'Argentine. À la fois écoles "de ponctualité", "d'effort", "d'écoute", et précieux filet de contention sociale, dans un pays aux 7 millions d'enfants en situation de pauvreté.