Le premier triplé sur les Ardennaises restera l'œuvre du regretté Davide Rebellin
Amstel Gold Race. Flèche Wallonne. Liège-Bastogne-Liège. Trois classiques en huit jours. Trois moments importants de la saison. Un tryptique particulier, mais dont les grands coureurs de classiques rêvent. Combien se sont cassés les dents sur ce triplé ? Car on tient deux courses bosselées, entrecoupées d'une où l'ascension finale est un véritable Mur. Sur le papier, pas facile de trouver un profil capable de gagner les trois.
Depuis la création de l'Amstel en 1966, personne n'avait réussi. Des grands noms se sont succédés au palmarès des trois courses, voir des très grands noms - Eddy Merkcx, Bernard Hinault, Jan Raas, Sean Kelly, Laurent Jalabert entre autres - mais c'est en 2004 que l'impensable s'est produit : Davide Rebellin passe en huit jours de bon coureur de classiques à légende du vélo. De façon totalement inattendue.
Le succès inattendu
En 2004, Davide Rebellin a 32 ans. Sa carrière est déjà accomplie. Il a quelques belles victoires à son palmarès, comme Tirreno-Adriatico, la Clasica San Sebastian, le Tour Méditerranéen, le Grand Prix de Francfort, plusieurs étapes sur des grandes courses comme le Giro ou Paris-Nice. Mais pas de victoire sur un Monument ou une course prestigieuse qui pourrait le classer au niveau des monstres des années 2000.
Quand il se présente sur la campagne des Ardennaises, sa saison n'a pas vraiment commencé mais sa préparation est axée sur ce printemps au Bénélux. Les années précédentes, il a multiplié les Top 10 sur ce tryptique, montant notamment deux fois sur la boîte à Liège. Mais ce n'est pas pour autant qu'il est le favori. Quand l'Amstel commence, les favoris sont clairs : Paolo Bettini, Danilo di Luca, Peter Van Petegem, Franck Vandenbroucke et bien sûr le régional de l'étape, Michael Boogerd.
C'est justement avec le Néerlandais que Rebellin va s'isoler en tête, en profitant d'une bosse non répertoriée, alors même que la course regorge de monts pour tenter des coups. L'Italien est plus rapide que son rival et s'offre la classique néerlandaise en haut du Cauberg. Une victoire marquante, peut-être sa plus belle à ce moment-là. Mais trois jours plus tard, changement de paysage.
La Flèche Wallonne n'est pas une course comme les autres. Elle se joue 99% du temps dans le Mur de Huy, montée finale de 1.3 kilomètres avec des pourcentages allant jusqu'à 26% ! La première étape, c'est d'arriver intact au pied du mur et la Gerolsteiner va faire un boulot remarquable pour placer son leader. Rebellin récompenser le travail de son équipe, et alors que di Luca semblait lancé vers la victoire, il voit son compatriote débouler sur sa droite et rafler la mise en patron. Un doublé Amstel - Flèche, c'est inédit, tant les deux courses sont différentes.
Le talent et la stratégie
Alors, l'envisager réaliser le triplé est fou. Pour autant, Rebellin est totalement dans les favoris de la course. Mais Bettini, Boogerd, Vinokourov, di Luca, Dekker, Basso, Vandenbroucke, les prétendants sont nombreux et chevronnés. Et c'est une course où les surprises sont nombreuses. Les déroulements inattendus ont notamment vus Tyler Hamilton devancer Iban Mayo l'année précédente.
Mais cette édition sera sous le signe du mouvement, avec de nombreux outsiders qui tenteront leur chance. Jusqu'à la Côte de Saint-Nicolas, traditionnel moment pivot de La Doyenne. Le moment choisi par Michael Boogerd, encore lui, pour en mettre une et dynamiter enfin l'affrontement des favoris. De tous les grands noms sus-cités, seuls deux vont accrocher la roue du Néerlandais : Alexandre Vinokourov et Davide Rebellin, qui a lu la course et qui a vu la force de Boogerd.
Sauf que la présence de l'Italien, plus rapide au sprint, change tout pour ces rivaux. Heureusement, il reste la montée vers Ans pour tenter de faire une décision. Mais alors que "Vino" plante une banderille, Rebellin gagne le jeu de dupes et laisse Boogerd - qui était sans doute le plus fort - le ramener avant de faire péter le Kazakh.
Du velours pour Davide Rebellin, qui n'a plus que Boogerd comme adversaire. Et comme une semaine au préalable aux Pays-Bas, il va tranquillement disposer de son rival au sprint et enfin remporter La Doyenne, après une troisième place en 2000 et une deuxième en 2001. Inenvisageable huit jours auparavant, le triplé des Ardennaises est devenu réalité.
Parti trop tôt
Le sommet de sa carrière. S'il gagnera encore deux fois la Flèche Wallonne, et bien d'autres victoires ça et là, il n'aura jamais été assez fort que pendant ces huit jours. Huit jours où tout lui a souri. Huit jours où le scénario a été favorable, où les planètes se sont alignées, etc... Le seul autre coureur cycliste à avoir réussi cette incroyable performance se nomme Philippe Gilbert, en 2011. Pas n'importe qui donc.
Disparu tragiquement en fin d'année dernière, quelques jours après avoir annoncé sa retraite à 51 ans (!), Rebellin a marqué son époque. Si l'on fait le classement des meilleurs coureurs de classiques du XXIe siècle, pas sûr qu'on puisse glisser feu l'Italien dans le Top 10. Il y a eu meilleur, plus constant, avec une meilleure longévité, plus impressionnant aussi. Mais il a accompli un exploit inédit, et mérite sa place au panthéon du cyclisme mondial.