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Rafael Nadal, le dernier chapitre

François Miguel Boudet
Rafael Nadal, le dernier chapitre
Rafael Nadal, le dernier chapitreProfimedia
Cette semaine, Rafael Nadal tentera de remporter sa 5e Coupe Davis avant de mettre un terme à sa carrière, à 38 ans. Auteurs d'un ouvrage retraçant la carrière du Taureau de Manacor, Fabrice Abgrall et François Thomazeau racontent pour Flashscore leur découverte du phénomène à Monte-Carlo en 2003 jusqu'à ce dernier chapitre qui pourrait s'achever sur une ultime victoire.

Voilà, on y est. El último baile, the last dance, la dernière danse. C'est à Málaga que Rafael Nadal donne son dernier bal, en quête d'une 5e Coupe Davis après celles de 2004, 2009, 2011 et 2019. Ensuite, il sera temps de ranger les raquettes et de les troquer pour des clubs de golf, son autre grande passion. 

À 38 ans, le Majorquin a fait son temps mais il dépose les armes contraint et forcé par son corps, et principalement ce pied qui lui a pourri la vie et l'a empêché de s'aligner sur 16 Grands Chelems (et l'a poussé à jeter l'éponge à 5 reprises alors qu'il était toujours en lice), sans parler de tous ces matches disputés avec des douleurs, toujours plus intenses à mesure que les années passaient. 

Costa au broyeur

François Thomazeau et Fabrice Abgrall couvrent l'actualité du tennis depuis près de 40 ans. Des phénomènes de la balle jaune, ils en ont croisé quelques uns. Mais comme Nadal ? Très rarement. Après avoir consacré un ouvrage à Roger Federer, ils ont écrit un tome 2, dédié au roi de la terre battue.

Pour l'un comme pour l'autre, la découverte du prodige a lieu en 2003, au Masters 1000 de Monte Carlo. "Nadal est un gamin et il bat Albert Costa, tenant du titre à Roland-Garros, s'extasie Fabrice Abgrall, la voix du tennis pour Radio France. C'était le dernier match de la journée, il commençait à faire froid mais on nous dit qu'il faut rester pour le voir. Et là, on se dit "mais qu'est-ce que c'est que ce joueur ?!". Il a broyé Costa". À 17 ans, Nadal n'est pas encore Rafa, "il n'est pas barraqué mais plutôt fluet, détaille François Thomazeau. Mais il a déjà ce coup droit hallucinant qu'il imprime avec un rythme de folie. Il y a des sportifs, on voit d'emblée qu'ils marqueront l'histoire". 

Pourtant, de son premier trophée Porte d'Auteuil en 2005 à la transmission de la flamme olympique lors de la cérémonie d'ouverture à chaque fois des mains de Zinedine Zidane, les choses n'ont pas été linéaires quant à sa cote de popularité en France. Cela s'explique par la rivalité avec Richard Gasquet chez les juniors. Mais pas uniquement. "À la fin des années 80, les joueurs espagnols avaient mauvaise presse même s'ils gagnaient Roland-Garros, explique François Thomazeau. Il y avait un côté froid, avec un jeu de fond du court très stéréotypé". Mais contrairement à la France qui a attend un successeur à Yannick Noah depuis 1983, l'Espagne a trusté les victoires sur l'ocre parisien, de Sergi Bruguera (1993, 1994) à Juan Carlos Ferrero (2003) en passant par Carlos Moyà (1998) et Albert Costa (2002), sans même évoquer les Alberto Berasategui, Àlex Corretja ou Félix Mantilla. "Nadal a réussi à mythifier un jeu rébarbatif. Poussé à l'extrême, il en a fait quelque chose de grandiose"

Tout sauf un bourrin

Longtemps, il a eu cette image de bourrin, renforcée par ses débardeurs mettant en exergue ses biceps saillants et son pantacourt qui lui donnait des airs de matador ou de pirate. "Ne dites surtout pas aux joueurs qui l'ont affronté que Nadal est un bourrin !, s'amuse Fabrice Abgrall. C'est tout sauf ça. Dans notre livre, il y a une citation de Richard Gasquet qui raconte que les joueurs recevaient une boule de pétanque quand Nadal utilisait son lift de coup droit". François Thomazeau renchérit : "Nadal sait tout faire mais sa meilleure tactique restait d'étouffer ses adversaires avec ce rythme infernal. Cependant, il a toujours su changer de jeu quand il était en danger. Il sait varier, notamment au service et à la volée. Ce n'est pas un vieux crocodile de la terre battue"

Effectivement, Nadal s'est très tôt remis en question quant à son jeu. Fabrice Abgrall analyse : "il a une main phénoménale, il a aussi été champion olympique de double. Ce qui a changé son jeu, c'est le fait de devoir s'adapter à d'autres surfaces. Il ne voulait pas être uniquement un joueur de terre battue mais gagner sur d'autres surfaces. Il a travaillé comme un forcené pour concurrencer Federer sur gazon et sur dur. Il y est parvenu dès 2008 avec sa victoire dantesque à Wimbledon. Entre son premier Roland-Garros et cette finale, il n'y a que 3 ans !".

Assurément, la patte Toni Nadal, l'oncle et l'ombre de Rafa pendant tant d'années qui l'a poussé à sans cesse remettre l'ouvrage sur le métier. "Toni lui a donné des bases, des valeurs, constate Fabrice Abgrall. Plus que la technique, c'est lui qui l'a formé comme guerrier ultime". Mais contrairement à la légende, ce n'est pas lui qui a imposé à son neveu de jouer de la main gauche : "quand il était petit, Rafa jouait tout des deux mains. Alors un jour, Toni lui a dit qu'il devait choisir et naturellement il a choisi la main gauche alors qu'il est droitier.... et c'est ce choix qui a tué Federer".  

Justement, Roger Federer a été le favori du public français. Quand on est francophone, un Suisse devient rapidement un compatriote par procuration. Alors qu'il parle majorquin, Nadal, lui, a encore du mal à aligner une phrase correcte dans la langue de Molière alors qu'il a régné près de deux décennies sur la Porte d'Auteuil. Federer avait donc une proximité naturelle avec le public hexagonal, renforcée par son style de jeu aux antipodes de celui de son rival. "Jeune, Nadal proposait un tennis extrêmement brutal, violent, qui détruisait le jeu de Federer, l'idole de tout le monde car il représentait l'élégance du tennis, l'aérien, la fluidité, synthétise Fabrice Abgrall. Les gens n'ont pas accepté que Federer ne pourrait pas gagner Roland-Garros à cause de lui. Alors ils l'ont pris en grippe"

La défaite qui a tout changé pour les Français

Or c'est bien connu, les Français ont une tendresse particulière pour les perdants. Et c'est une défaite de Nadal qui a tout changé. En 2009, à moitié blessé, il cède face à Robin Söderling. Federer saisit sa chance et bat le Suédois en finale. Bien meilleur joueur de terre battue que Pete Sampras qui glissait après la frappe au lieu de faire l'inverse, "Rodgeur" n'a eu qu'une seule ouverture pour glaner les 4 titres du Grand Chelem, ce que n'a jamais réussi à faire l'Américain allergique à la surface.

"Le public a alors basculé. Et puis on se disait qu'on assistait à l'histoire du tennis et on avait envie qu'il gagne pour établir un record qui ne sera jamais battu. Imaginons que Carlos Alcaraz y parvienne : cela nous envoie au mieux en 2039 !". François Thomazeau complète : "Federer fait plus sofistiqué et plus distant. Nadal coche toutes les cases de ce qu'on aime en France, la latinité, l'émotion. C'est un bon gars et c'est ça qui est apparu, notamment avec les journalistes. Au sortir de la conférence de presse, il venait nous parler, pas loin d'aller boire une bière avec nous, à nous taper sur l'épaule. C'est un type qui pourrait être votre pote, qui aime les plaisirs simples, la pêche, la nature".

"Les gens ont découvert un Rafael Nadal humain, sensible, bien éduqué, gentil, généreux, fair play, conforte Fabrice Abgrall qui constate qu'il y a davantage "d'émotion pour l'annonce de la retraite de Nadal que pour celle de Federer parce que le public l'a découvert et a vu un homme humain. Federer est plus lisse, c'est une autre mentalité, plus froide. Nadal montre ses émotions beaucoup plus facilement. Les gens se sont rendus compte avec lui que c'est tout une génération qui s'en va, même s'il reste Novak Djokovic. Mais dans l'imagerie populaire, on se rappellera plus des Federer-Nadal que des Nadal-Djokovic alors que la plus grande rivalité, c'est Nadal-Djokovic car il se sont affrontés 60 fois. Mais le "Fedal", c'est ce qui restera, comme Borg-Mc Enroe ou Edberg-Becker et Agassi-Sampras".

Indissociables

À la différence près que ce fut une rivalité exacerbée à trois. Et même quand les aînés annoncent leur retraite, les cadets utilisent les mêmes mots : "c'est une partie de moi qui s'en va". Nadal l'avait dit pour Federer, Djokovic l'a dit pour Nadal. "On dit souvent qu'on a eu de la chance d'avoir ces trois-là en même temps mais c'est l'inverse, assure François Thomazeau. C'est parce qu'il y a eu cette émulation qu'ils ont autant gagné. Ce fut fondamental dans leurs carrières". Et c'est certainement face à "Nole" que "Rafa" a compris que c'était fini. "La motivation est toujours là, mais plus le corps, assure Fabrice Abgrall. Contre Alexander Zverev à Roland-Garros et Djoko aux JO, il s'est rendu compte qu'il ne pouvait plus tenir tête aux meilleurs. Nadal ne veut pas faire de la figuration. Au plus profond de lui-même, il ne voulait pas arrêter mais il ne répond plus physiquement".

Son collègue fait le lien avec un triple Ballon d'Or contraint de mettre la flèche à seulement 28 ans : "Marco van Basten a eu une blessure récurrente à la cheville au point de ne plus pouvoir marcher. La différence, c'est que Nadal savait à l'avance ce qu'il avait. Il va suivre la même opération que van Basten avec une soudure des os pour qu'il n'y ait pas de douleur, même avec une perte de mobilité. Il aura des séquelles toute sa vie mais pas au point de mettre en danger son intégrité physique. S'il est allé aussi loin dans la douleur, c'est parce qu'il savait qu'il y avait des solutions pour l'après"

La photo icônique lors de la Laver Cup 2022
La photo icônique lors de la Laver Cup 2022Glyn Kirk / AFP

Forcément, le dernier toujours en activité doit bien se demander ce qu'il pourrait faire de plus face aux jeunes loups : "cette saison, on a senti une forme de démotivation chez Djokovic et les retraites de Federer et Nadal n'y sont pas pour rien. C'est un gouffre qui s'ouvre devant lui". Il ne lui reste que deux objectifs à atteindre pour plier le game : les victoires en Grands Chelems hommes et femmes confondues, record codétenu par Margaret Court et Serena Williams avec 25 timbales, et les 109 tournois ATP remportés par Jimmy Connors. "Est-ce qu'il va y arriver avec Sinner et Alcaraz ?, s'interroge Fabrice Abgrall. Il prépare déjà l'Open d'Australie, là où son tennis s'exprime le mieux. Il doit terminer au sommet et 2025 sera une année charnière". 

Rafa, c'est la famille !

La dernière saison de Nadal aura connu des contours étranges avec des critiques venues y compris de son propre pays avec une exhibition particulièrement rémunératrice contre Carlos Alcaraz à Las Vegas devant les caméras de Netflix et un rôle d'ambassadeur du tennis en Arabie Saoudite. Mais au matin de sa dernière semaine de joueur professionnel de tennis, ce qui restera c'est ce soir de juillet où, sous la Tour Eiffel, Nadal est définitivement devenu un Parisien à part entière. "Roland-Garros c'est le retour des beaux jours, la préparation du Bac, les après-midi devant les matches et Nadal est devenu l'incarnation de ce moment de la vie française, affirmé François Thomazeau. On aurait pu être surpris quand il a reçu la flamme olympique des mains de Zinedine Zidane puisqu'il est Espagnol mais c'est parce que Nadal est un authentique Parisien. On a eu de l'émotion car il représente l'histoire de cette ville. Nadal, il fait partie de la famille !"

La transmission de la flamme olympique entre
La transmission de la flamme olympique entre Agence KMSP via AFP

Au crépuscule de ce "Big Three" qui a tout vampirisé, reste une question en suspens : qui est le GOAT ? Habilement, Fabrice Abgrall et François Thomazeau ont utilisé le même sous-titre, "le meilleur de tous les temps", pour Federer et Nadal, et Djokovic aura droit au même traitement. "On lance le débat, on ne veut pas trancher et puis ce sous-titre nous arrange bien", sourit le premier qui concède une préférence pour Nadal. "Chacun dans leur domaine est le meilleur, pour le second qui, lui, penche pour la pureté du jeu de Federer. Mais j'adore Rafa et ils sont indissociables, tout comme j'ai une tendresse aussi pour Djokovic parce qu'il a une image sulfureuse qui n'est pas méritée. Et puis, il ne faut pas surtout pas oublier dans ce débat le GOAT chez les femmes". Fabrice Abgrall propose peut-être la meilleure formule : "un ami journaliste m'a toujours dit que si on aime le tennis on aime Federer et si on aime le sport, on aime Nadal. Je lui emprunte volontiers cette pensée et j'ajoute : si on aime les statistiques, on aime Djokovic"

Plus grand sportif espagnol de tous les temps, "Rafa" va se retirer devant son public qui rêve avec lui d'un dernier trophée. Ensuite, il pourra réparer son corps et développer ses activités. Et puis, qui sait, Florentino Pérez n'est pas éternel, et personne ne serait surpris de voir Nadal devenir président du Real Madrid. Pour de nouvelles retrouvailles avec Zidane ? 

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