Reinach-Libbok, une charnière inattendue pour plus de créativité face aux Bleus ?
Manie Libbok n'a guère brillé par son jeu au pied pendant cette Coupe du monde mais c'est bien lui qui débutera à l'ouverture contre les Bleus. Handré Pollard semblait favori, surtout après la victoire contre les Tonga à Marseille (49-18). Or Libbok s'est réveillé dans le si délicat exercice du buteur et a aussi signé un 100%. Et si le 10 de Bath a réalisé un 7/7 au plaquage, c'est bien l'ouvreur des Stormers qui débutera dimanche soir. Cela faisait trois mois que Pollard attendait son temps comme un lion en cage. Une blessure au mollet qui devait le tenir éloigné des terrains pendant un mois l'a finalement écarté un trimestre, au point qu'il n'a pas fait partie du premier groupe annoncé par Jacques Nienaber et Rassie Erasmus. À court de match depuis la demi-finale du championnat d'Angleterre, il a attendu 19 semaines avant de rejouer.
Libbok, identité d'un changement de paradigme
Pollard, cadre des Boks des champions du monde en titre, ne peut pas tourner à plein régime mais sa présence dans la composition de départ semblait acquise grâce à son jeu au pied, d'autant que jusqu'à son retour, le taux de réussite face aux pagelles était de 47,8% (avec 3 joueurs), un pourcentage aussi ridicule que rédhibitoire. Contre l'Irlande, 3 pénalités et une transformation avaient été manquées, soit un manque à gagner de 11 points dans un match aussi serré (13-8). Quant à Libbok, outre son 1/3 dans l'exercice, il avait surtout terminé son match sur un 4/7 au plaquage.
Pour autant, il est considéré comme plus créatif que Pollard, ce qui, dans l'évolution récente du jeu des Boks, a certainement fait pencher la balance de son côté. Si la conquête, la défense et l'occupation au pied restent des vertus cardinale, les statistiques ont démontré une évolution dans le jeu traditionnellement aride et fondé sur l'utilisation, parfois à outrance, des fondamentaux. Selon Opta, le nombre de coups de pied par rencontre "importante" (Écosse, Irlande, Tonga) est passé de 30 lors du dernier Mondial à 19 cette année. Une diminution qui va de pair avec le nombre de passes en nette progression (129 en 2023 pour 89 en 2019), les passes après contact (5 contre 2,7) et les progressions ballon en main (104 contre 83). "J'aime le jeu de Libbok, son style plus aéré, plus offensif, plus créatif, analyse Xavier Garbajosa dans les colonnes du Midi Olympique. Seulement, j'ai bien connu Pollard à Montpellier. Avec lui, face aux perches, c'est l'efficacité assurée. Il est le demi d'ouverture au profil sud-africain par excellence avec du jeu au pied d'occupation, du jeu au pied de pression".
De Klerk, la goupille du Bomb Squad ?
Autre "victime" de Nienaber : Faf de Klerk. Lui aussi défaillant contre l'Irlande avec deux pénalités manquées, le demi de mêlée que l'on pensait inamovible depuis la tournée de l'hiver dernier est mis sur le banc. Le Montpelliérain Cobus Reinach lui a été préféré. De quoi renforcer le pouvoir du fameux "Bomb Squad" ? Rassie Erasmus estimait récemment qu'il faudrait "prendre des décisions difficiles pour notre composition d'équipe". La composition du banc a beaucoup fluctué, avec par exemple 7 avants et un arrière contre l'Irlande, Nienaber a finalement choisi de mettre 5 avants et 3 arrières en réserve de la patrie. Parmi les avants figure Jasper Wiese, titulaire contre l'Irlande et l'Ecosse mais devancé par le vétéran de 37 ans Duane Vermeulen, inlassable gratteur de ballons dans les rucks.
Toujours dans le Midol, François Steyn explique cette gestion : "je sais que de Klerk s'entraîne énormément à l'ouverture, par exemple. La constitution du Bomb Squad n'est jamais due au hasard. Tout est pensé, étudié, adapté à l'adversaire". Pour Garbajosa, "dans le projet de jeu de 2019, si les Sud-Africains sont champions du monde, c'est en grande partie grâce au pied de Pollard et de Klerk. Un jeu au pied limpide, précis, qui met l'adversaire toujours sur le reculoir". Or l'irruption de Libbok, 26 ans, a offert peut-être davantage de diversité aux Boks : "les Sud-Africains ont trouvé cette bonne alternance avec lui, capable de déplacer des ballons un peu plus vite, avec le pied ou les mains, capable d'attaquer la ligne ou de reculer le ballon sur une passer, de créer de l'incertitude, notamment avec une circulation des joueurs autour de lui vraiment intéressante".
La question en suspens sera donc celle de la performance défensive des champions du monde en titre. Les montées en pointe pourraient laisser des espaces béants aux Français et le retour d'Antoine Dupont est une donnée qui est loin d'être négligeable. Si les Boks ont martelé qu'il n'y aurait pas de plan spécifique sur le capitaine des Bleus, difficile de croire qu'il sera considéré comme un joueur parmi d'autres. Plus de créativité pour plus de surprise, mais au détriment des fondamentaux défensifs ? Le pari n'est pas habituel pour l'Afrique du Sud et, pour un 1/4 de finale de Coupe du monde, il demeure pour le point déroutant.