Rodri, un Ballon d'Or inattendu qui fera date
Il y eut Emilio Butragueño, Raúl, Xavi, Andrés Iniesta. Tous sont passés très proche de remporter le Ballon d'Or, sans jamais y parvenir alors qu'ils l'auraient sans nul doute mérité allègrement. Décédé en 2023, Luis Suárez n'a donc jamais pu transmettre le flambeau à un compatriote, lui qui avait été couronné en 1960. Une incongruité pour un pays comme l'Espagne qui a dominé le football de club et de sélection depuis le début du XXIe siècle. Un petit Argentin et un grand Portugais ont monopolisé les récompenses, probablement un peu trop par rapport au mérite de leur terre d'adoption.
C'est finalement Rodri Hernández, un milieu défensif formé à Villarreal et lancé dans le grand bain par Marcelino García Toral, passé par les mains expertes du Cholo Simeone pendant une saison à l'Atlético avant de devenir une référence absolue à son poste avec Pep Guardiola à Manchester City. Trois anciens milieux de terrain, dans trois styles différents : cela ne peut être une coïncidence quant au développement depuis près d'une décennie du "pivote" qui s'est imposé comme la référence absolue à son poste depuis plusieurs saisons.
Une première depuis... 28 ans !
Même s'il fut l'unique buteur de la finale de la Ligue des Champions, même avec un triplé conquis avec son club, le Madrilène était un profil trop défensif pour être célébré, surtout au terme d'une saison où Lionel Messi était devenu champion du monde.
MVP de l'Euro remporté par l'Espagne, sa chance semblait néanmoins passée. Après tout, fidèle à son registre de jeu, il n'en a jamais fait un objectif, encore moins une fixation. Champion d'Espagne, buteur en finale de la C1 pour la deuxième fois de sa carrière, Vinicius Jr semblait tout indiqué pour remporter le prestigieux trophée, d'autant que le Real Madrid, expert du lobbying en la matière, passe rarement à côté de la timbale quand il domine une saison qui plus est avec ce Brésilien virevoltant, longtemps critiqué par ses propres supporters avant de mettre tout le monde d'accord au prix d'efforts immenses et constants.
Battu aux tirs au but par la Casa Blanca en 1/4 de finale, City n'a pu réaliser le back-to-back en Ligue des Champions et si une SuperCoupe d'Europe et un titre de champion du monde des clubs sont venus garnir l'armoire à trophées, la saison s'est limitée à la conservation du titre en Premier League tandis que la Cup a été ravie par Manchester United, rival pourtant exsangue.
Mais son brillant été avec la Selección a fait la différence, juste avant qu'une foutue blessure au genou ne le prive de toute la saison 2024-2025. Ce n'est pas un Ballon d'Or sur une mais sur deux saisons qui lui a été attribué. C'est aussi un honneur décerné à une certaine forme de discrétion, même si son envolée lyrique lors des célébrations de la victoire à l'Euro sur l'appartenance de Gibraltar à l'Espagne n'est pas passé inaperçue, frisant même avec l'incident diplomatique avec le Royaume-Uni.
Pour la première fois depuis Fabio Cannavaro en 2006, ce n'est pas un nombre de buts qui a été sacré mais un état d'esprit, un sens du sacrifice, le travail de l'ombre pour faire briller les autres. Preuve que ce Ballon d'Or 2024 restera pour longtemps comme une anomalie dans le palmarès, il faut remonter à 1996 et Matthias Sammer pour retrouver un milieu défensif couronné. La cérémonie était beaucoup moins grandiloquente qu'elle ne l'est aujourd'hui et le mérite est d'autant plus grand pour Rodri, le discret qui, pour une fois, est mis tout seul sous le feu des projecteurs.