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Avec le Mondial 2023, le rugby sud-africain : miroir en mue d'une société inégalitaire

Flashscore, avec AFP
Des fans assistant au départ de leurs Springboks le 12 août.
Des fans assistant au départ de leurs Springboks le 12 août.AFP
Un groupe de jeunes s'entraîne au rugby sur un terrain poussiéreux d'un township près de Johannesburg: cette scène aurait été improbable il y a encore quelques années en Afrique du Sud, où même le rugby a un lourd passé lié à l'apartheid.

Mais le sacre des Sud-Africains en 2019 au Japon, avec à leur tête Siya Kolisi, premier capitaine noir des Springboks, a renforcé la popularité du rugby, à quelques semaines de défendre leur titre mondial en France (8 septembre-28 octobre).

Tembisa, banlieue appauvrie à majorité noire, ne fait pas exception même si ici, le football reste roi : "Nous avons de nouveaux joueurs qui arrivent chaque semaine", note Siyabonga Mogale, l'arrière de 21 ans de l'équipe locale des Etalons de Tembisa. "Beaucoup s'intéressent au rugby maintenant."

L'engouement provoqué par Kolisi n'est pourtant pas suffisant pour effacer des décennies de ségrégation, ni pour cacher des inégalités toujours présentes dans ce sport. "Le rugby a instrumentalisé son image pour laver le cerveau des Sud-Africains noirs afin qu'ils soutiennent un système dont eux-mêmes étaient exclus", dénonce Mark Frederics, universitaire et militant sportif.

Le passé blanc des Springboks

Pendant 90 ans, les sélectionneurs des Springboks n'ont choisi que des joueurs blancs, noirs et métis ne pouvant évoluer que dans des ligues séparées, sans possibilité de jouer au niveau international. Même après la fin de l'apartheid, l'inclusion de joueurs noirs et métis dans l'équipe nationale a été terriblement lente.

Lors du titre de 1995, célébré y compris par le président Nelson Mandela, tous les joueurs, à l'exception d'un ailier, étaient blancs. Douze ans plus tard, lors de leur nouveau sacre en France, seuls deux joueurs noirs figuraient au sein de l'équipe championne du monde.

Ce n'est qu'en 2019 que les choses ont évolué, avec six joueurs noirs dans le XV de départ victorieux des Anglais (32-12) en finale, dont le capitaine Kolisi.

Pour fêter leur titre à leur retour, les joueurs avaient d'ailleurs démarré leur tournée à Soweto, tonwship symbole de la lutte contre l'apartheid, où les Springboks étaient auparavant détestés. "C'était motivant, je me suis dit qu'un jour, moi aussi, je pourrais y arriver", se souvient le capitaine des Etalons de Tembisa Amohelang Motaung.

Mais, sous le vernis d'une mutation réussie, beaucoup reste à faire, juge Peter de Villiers, devenu en 2008 le premier sélectionneur noir des Springboks. "Si vous regardez les Springboks, vous verrez de grandes avancées, un changement de mentalité", dit-il à l'AFP. "Mais si vous voulez les meilleurs joueurs pour votre équipe nationale, il faut une participation massive à ce sport. Et c'est loin d'être le cas."

Des inégalités persistantes

Pour des joueurs comme Motaung, issu d'un township, la voie vers le succès est bien plus ardue que pour les élèves d'écoles et universités privées qui dominent toujours le rugby sud-africain.

Ces institutions ont des infrastructures et des entraîneurs avec lesquels les quartiers pauvres des townships ne peuvent rivaliser. Le problème saute aux yeux à Tembisa, où les Etalons, liés à une école locale, jouent parfois pieds nus sur un terrain de football accidenté qui ne possède même pas de poteaux de rugby.

"Le terrain n'est pas adapté, il n'est pas plat comme il devrait l'être. Il y a beaucoup de terre, et pas assez de pelouse. Ce n'est fait pour le rugby", acquiesce l'entraîneur Zwelakhe "Themba" Mawela.

La plupart des Sud-Africains noirs, qui représentent 90 % de la population, n'ont pas les moyens de s'offrir une scolarité dans le privé. Beaucoup n'ont pas non plus la possibilité de se consacrer entièrement au rugby, comme le capitaine des Etalons, Motaung, récemment diplômé en science animale et qui cherche du travail.

"On veut qu'ils aient des rêves, des espoirs, qu'ils sachent que c'est possible", explique leur entraîneur. "Mais sans les bonnes infrastructures, que peut-on espérer ?" Pour diversifier le recrutement, les écoles privées ont lancé des bourses pour sportifs prometteurs, un système dont a bénéficié Kolisi mais qui est aussi critiqué parce qu'il pille les communautés noires de leurs meilleurs joueurs sans pour autant s'attaquer à l'inégalité.

"Tant que nous n'aurons pas un système où une bonne scolarité est accessible à tous, nous n'aurons pas une équipe vraiment représentative de ce pays", juge Francois Cleophas, professeur en sciences du sport à l'université de Stellenbosch.

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