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Shay Elliott, 1er vainqueur étranger du Het Volk et mythe contrarié du cyclisme irlandais

François Miguel Boudet
Shay Elliott sous les couleurs de la Helyett
Shay Elliott sous les couleurs de la HelyettCapture YouTube
L'Omloop Het Nieuwsblad, ex Het Volk, inaugure le calendrier des classiques qui émailleront le printemps. De sa création en 1945 à 1958, la course a été l'appanage des Belges. Cette hégémonie est rompue par la victoire en 1959 de Shay Elliott, premier Anglophone d'envergure au sein du peloton, vice-champion du monde en 1962, gregario de Jacques Anquetil puis Raymond Poulidor, dont la disparition tragique à 36 ans reste toujours énigmatique tandis que son souvenir reste prégnant au sein du cyclisme irlandais.

Le 10 juillet 1998, alors que toute la France retient son souffle à deux jours de la finale de la Coupe du monde de football qui opposera les Bleus au Brésil, le Tour de France prend ses quartiers à Dublin, ville départ de la 85e édition qui restera dans les mémoires pour le scandale Festina. Le patron de la Grande Boucle, Jean-Marie Leblanc, assiste à Kilmanacogue à une commémoration dédiée au coureur Shay Eliott, premier Irlandais à porter le Maillot Jaune. Une stèle est inaugurée et la course passera par le village. 

Shay Elliott
Shay ElliottProfimedia

Irish Flahute

Seamus "Shay" Elliott fut, avant Sean Kelly et Stephen Roche, le premier Irlandais à se faire un nom au sein du peloton. Pas mal pour un coureur qui n'a appris à faire du vélo qu'à 14 ans ! Comme tout bon Irlandais qui se respecte, le jeune Shay pratique le football gaélique et le hurling. À 16 ans, il dispute sa première course sur une bécane de fortune à pignon fixe et termine 2e. 

Bâti comme un "Flahute" pour reprendre l'expression de Raymond Le Bert, qui fut le soigneur de Louison Bobet, pour désigner ces coureurs flamands durs au mal, Elliott aligne plusieurs succès (Championnat d'Irlande en 1953 et 1954, Grand Prix of Ireland, Manning Veg sur le prestigieux circuit de l'Ile de Man, Dublin-Galway-Dublin) Meilleur grimpeur du Tour d'Irlande en 1954, il gagne un stage à Monaco et pense à faire carrière. Pour cela, il doit s'exiler. Il envisage de s'installer à Gand, en Belgique, pour disputer les kermesses. Mais le journaliste et organisateur Jean Leulliot, qui connaît Elliott depuis sa victoire au sommet du Tourmalet lors de la Route de France organisée par son employeur, lance un appel pour que l'Irlandais ait un toit à Paris. Il débarque l'ACBB (Athletic Club Boulogne-Billancourt), remporte 5 courses et bat le record du monde amateur des 10km sur piste au Vel d'Hiv'. Le plus Français des Irlandais passe professionnel en 1956. 

Quand on s'offre André Darrigade au sprint, c'est qu'on a quelques facultés. Le champion de France en titre se fait déborder par Elliott sur le Grand Prix d'Echo d'Alger. Le Dublinois s'adjuge aussi le GP Catox et le GP d'Isbergues avec le paletot de la Helyett-Félix Potin dont le leader est un certain Jacques Anquetil.

De belles victoires mais sa plus belle sera le Het Volk en 1959. Elliott n'est pas un inconnu sur les routes flamandes. Deux ans auparavant, il s'était offert une belle partie de manivelles avec l'Anglais Brian Robinson avant d'être repris. À 30 bornes de l'arrivée, l'Irlandais accélère dans le Mur de Grammont pour faire le ménage. Seul le Belge Fred de Bruyne s'accroche mais cède au sprint. 

Dans le jargon, on appelle ça un domestique mais Shay Elliott était peut-être davantage qu'un coéquipier qui prend le vent, protège son patron et ramène les bidons. Il fait en effet partie du cercle fermé des coureurs qui ont gagné au moins une étape et à porter le maillot de leader sur les trois Grands Tours (Giro 1960, Vuelta 1962 qu'il termine 3e, Tour de France 1963).

L'amitié, le maillot irisé et les regrets

Outre son statut de gregario pour "Maître Jacques" puis Raymond Poulidor, Shay Elliott a noué une relation privilégié avec un autre illustre coureur français en la personne de Jean Stablinski. Coéquipiers depuis 1959, ils nourrissent une véritable amitié qui ira bien au-delà du cyclisme puisque Stab' est le parrain de Pascal, le fils de Shay qui décèdera à 16 ans dans un accident de moto en 1978. En 1962, ils jouent la gagne pour le titre mondial à Salò. Elliott attaque à 20km de l'arrivée mais l'Allemand Rolf Wolfshol et le Belge Jos Hoevenaars roulent pour rentrer. Stablinski contre et l'Irlandais refuse de bouger. Son leader chez Helyett se pare du maillot irisé et lui s'adjuge la 2e place en larguant ses adversaires à la flamme rouge.

Dans le documentaire "Cycle of betrayal" diffusé en 2009 par Setenta Ireland, Darrigade revient sur cet épisode : "ils se sont entraînés ensemble, très fort, derrière un Derny. Mais je prétends que ce jour-là, Seamus pouvait être champion du monde". Pour Jean Bobet, frère de Louison, lui-même cycliste puis journaliste décédé en 2022, raconte dans le même documentaire que "c'est une chose dont on parlait sous le manteau, c'était une affaire très mystérieuse et Shay en a été victime". En 1970, l'Irlandais revenait sur cette fin de course : "il restait 2 tours, nous étions encore 4 et je suis encore convaincu que ce jour-là, j'étais le plus rapide". Une victoire qui aurait changé sa carrière et, probablement, toute sa vie. En 1963, Stab' lui permet de gagner la 3e étape du Tour à Roubaix, ce qui lui assurera de porter la tunique jaune. 

Trois ans plus tard, le destin rejoue un sale coup à Eliott. En 2017, dans les colonnes du site Be-Celt, Pat McQuaid, ancien président de l'UCI et fils d'un coéquipier d'Eliott en Irlande, a raconté la déveine du Dublinois : "En 1965, il était ultra-favori pour le championnat du monde à San Sebastian, à Lasarte Oria exactement. Alors qu’il était dans l’échappée principale et qu’il était à deux doigts de le remporter, une revanche sur celui de 62, sa selle se brisa net. Il n'a pas pu revenir sur le groupe de tête". C'est Tom Simpson qui triomphe, alors que celui-ci lui avait proposé 1000 pounds pour l'aider à gagner. 

Mort mystérieuse et souvenir perpétué

La fin de carrière d'Elliott n'a pas été idylique. Il rejoint la Mercier en 1966 pour se mettre au service de Raymond Poulidor. Parallèlement, il achète un hôtel en Bretagne. Mais rien ne va. Les affaires s'effrondrent, son mariage bat de l'aile. Pour tout mener de front, il ne dispute que des courses locales mais promet à ses patrons qu'il aidera Poupou à gagner les championnats du monde en Allemagne. Or dans le finale, sa chaîne saute et Poulidor termine 3e derrière Rudi Altig et Anquetil. 

Pour se renflouer, il vend une histoire d'arrangements et de salage de soupe à un magazine. C'est peu détaillé mais suffisamment pour perdre tout crédit dans le milieu. Eliott retourne seul en Irlande, tente un retour en 1970, entraîne les jeunes dans son ancien club de Bray Wheelers, envisage des plans d'entraînement. Le 4 mai 1971, deux semaines après la mort de son père, il est retrouvé mort dans l'atelier familial. Suicide par arme à feu (le plus probable), accident, crime perpétré par le syndicat du crime breton : comme toute légende, sa disparition est entourée d'un halo de suspicions et de doutes. 

Son souvenir de premier grand cycliste irlandais se perpétue chaque année à l'occasion de la Shay Elliott Memorial Race. Cette course créée par Bray Wheeler sous le nom de Route de Chill Mhantain a ensuite pris l'appellation de Shay Eliott Trophy à la fin des années 60 avant de prendre son nom actuel après sa disparition, à seulement 36 ans. "Je l’ai remporté en 1972 et celle-là, quand tu la gagne en tant qu’Irlandais, tu en es fier, expliquait Par McQuaid en 2017. Elle est difficile par son profil vallonné et par la nervosité de la course, elle est à l’image de Shay. Sean Kelly l’a remporté par deux fois aussi, en 1974 et 1975. C’est l’un de mes plus beaux souvenirs. À l’heure actuelle, tu peux être sûr que tout Irlandais veut y participer, qu’il soit en France ou ailleurs. Il revient sur l’île pour lui rendre hommage. Elle est dans notre ADN".

Davantage qu'un domestique, aux portes d'une carrière bien plus glorieuse et rémunératrice, l'Irlandais reste un phare pour les coureurs de l'île d'Émeraude, comme le rappelait McQuaid : "Seamus Elliott est et restera la plus grande inspiration pour tous les coureurs irlandais. Il était d’une autre trempe"

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