Xavi n'a pas tout réussi, mais il est très loin d'avoir tout raté
Engoncé dans son caban, Xavi Hernández est finalement entré dans la salle de presse plus d'une heure après la défaite rocambolesque subie par le FC Barcelone contre Villarreal (5-3). La présence de son adjoint de frère Óscar et de son épouse augurait une annonce forte. Elle le fut. Devançant les questions des journalistes, il a pris la parole pour annoncer son départ du club le 30 juin prochain. Le technicien catalan a ensuite essayé de mettre des mots sur ses sentiments mais son visage parlait de lui-même : l'ancien capitaine blaugrana est exténué, lessivé, essoré, cuit à l'étouffée. Comme tant d'autres avant lui, Xavi jette l'éponge. Il a 4 mois devant lui pour faire regretter à ses critiques le traitement reçu.
Xavi, un choix par défaut de Laporta
Le poste d'entraîneur du Barça est "una putada". Non seulement il faut gagner mais il faut, en plus, bien jouer. Tel était l'objectif avoué de Xavi au moment de sa prise de poste. Un voeu pieux. Il est très simple de lui reprocher de ne pas y être parvenu sur la durée mais la réalité du club catalan est d'une rare complexité.
Mais la mémoire dans le football est une chimère car, quand il s'installe sur le banc un soir de novembre 2021 pour le derbi contre l'Espanyol (1-0), le Barça est un champ de ruines. Le Camp Nou est déserté, l'équipe joue devant des gradins à moitié vides alors que les places pour les matches sont bradées. Le départ de Lionel Messi quelques mois plus tôt a eu pour conséquence une baisse de fréquentation drastique, notamment pour les touristes, et la chute d'activité liée à la pandémie n'a rien arrangé.
Revenu à la tête du club après la déchéance de Josep María Bartomeu, Joan Laporta a gardé Ronald Koeman au-delà de la saison 2021-2022 alors que tout annonçait un nouveau chaos. La victoire en Coupe du Roi a sauvé la place de la légende néerlandaise, unique buteur de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions en 1992. Mais après un Clásico au Camp Nou dont le score (2-1) reflète mal la surdomination merengue, le président doit agir car, après 13 journées, le Barça est 9e de Liga et a pris deux corrections contre le Bayern (0-3) et Benfica (3-0). Il promeut Sergi Barjuan, devenu coach du filial par amitié plus que par compétence alors que Francisco García Pimienta, "plus Cruyffiste que Cruyff lui-même", n'est pas parvenu à faire monter la B en Segunda (ce que Barjuan ne fera pas ni Rafa Márquez, actuel coach de l'équipe rebaptisée récemment Barça Athlètic qui s'est déjà positionné pour reprendre le banc de l'équipe première).
L'ancien latéral n'est qu'une solution temporaire. Laporta, réélu davantage grâce à son passé que sur son programme, cherche une solution mais quel coach renommé pourrait bien venir sans budget ? Lui rêve d'un coach allemand et oscille entre Hansi Flick et Julian Nagelsmann. La situation l'en empêche. Alors qu'il s'était ouvertement moqué de son rival Victor Font lors du dernier débat avant l'élection en mars 2021 car celui-ci avait mis Xavi au centre de son projet sportif, Laporta se résout à l'évidence : le coach d'Al-Sadd est la seule case à jouer. Étendard du Barça de Pep Guardiola et de la Roja triomphante, le natif de Terrassa prend le risque, par ambition mais aussi par devoir. Son salaire, estimé à 2M€ par an, est une broutille quand Flick, vainqueur de la Ligue des Champions avec le Bayern en 2020, et Nagelsmann, actuel sélectionneur de la Nationalmannschaft, touchent au moins 4 fois plus.
Une équipe à recomposer
À l'époque, le Barça est exsangue financièrement et sportivement et la 9e place en Liga après 13 journées fait craindre le pire. Xavi fait avec les moyens du bord. Ilias Akhomach (qui, ironie de l'histoire, a marqué le 2e de but de Villarreal samedi) et Ferran Jutglà deviennent titulaires. Le 2 janvier 2022, le Barça perd à Majorque (1-0) avec Araújo latéral gauche et 6 canteranos sans expérience sur le banc.
En coulisses, le directeur général Mateu Alemany, assurément la meilleure recrue de Laporta, réalise des prouesses alors que son supérieur veut renforcer l'équipe, quitte à mettre beaucoup d'argent sur la table. Alors que Pedri, l'homme que Koeman a publiquement souhaité envoyer en prêt avant de vouloir ensuite retirer tous les bénéfices de la mise sur le terrain contrainte du Canarien, voit son contrat s'achever prochainement, le club s'évite une crise en exfiltrant Ferran Torres de Manchester City pour 55M€. Précision d'importance : l'ancien Valencianista a le même représentant que Pedri, Héctor Peris.
En janvier, le Barça perd un nouveau Clásico, cette fois en SuperCoupe d'Espagne (3-2). Mais dans le jeu, l'équipe a été consistante et courageuse. Petit à petit, le club redresse la tête. Laporta multiplie les leviers économiques risqués, pousse les cadres historiques à baisser leurs salaires avec un étalement des versements sur une ou deux saisons supplémentaires. Tout est bon pour réduire la masse salariale et recruter à moindre coût. Eric García, Memphis Depay, Sergio Agüero, Luuk de Jong et Yusuf Demir arrivent l'été 2021, Pierre-Emerick Aubameyang et Adama Traoré suivent en janvier avec Torres. Avec cette équipe de bric et broc, le Barça termine 2e du championnat et si l'élimination en Ligue Europa contre l'Eintracht Francfort a déçu, le club allemand a remporté la compétition, ce qui témoigne de sa valeur.
Un peu plus large au terme de la saison 2021-2022, le président parvient à attirer Robert Lewandowski, Jules Koundé et Raphinha. L'agent du Brésilien est un certain Deco et celui-ci aura un rôle clef sur la saison 2023-2024. Andreas Christensen, Marcos Alonso, Franck Kessié et Héctor Bellerín arrivent libres. Inscrire les recrues est une bataille, LaLiga ne transige pas avec son salary cap.
Tout, tout de suite et maintenant
Oser dire que le mandat de Xavi est un échec sur toute la ligne relève de la malhonnêté intellectuelle. Factuellement, sa première saison complète est un succès sur la scène domestique : victoires en SuperCoupe et surtout en Liga, 4 ans après la dernière. Cela frise l'exploit. Mais il y a toujours quelque chose qui ne va pas. L'équipe défend très bien mais ne marque pas suffisamment. La méforme de Lewandowski après le Mondial (et qui dure depuis plus d'un an) n'a pas aidé. Mais gagner n'est pas suffisant. Il faut tout, et tout de suite. Le Barça est un cas unique au monde. Partout ailleurs, la victoire suffit. Là, il faut impérativement qu'elle soit accompagnée par la manière, même quand le club était au bord de la faillite quelques mois plus tôt, même quand on est venu sans garantie sportive.
La 3e place en phase de groupes de la Ligue des Champions pèse lourd, même s'il y avait le Bayern et l'Inter, futur finaliste, même si les blessures de Ronald Araújo et Christensen ont empêché Xavi s'aligner sa charnière titulaire pendant plusieurs semaines. L'élimination en Ligue Europa contre Manchester United passe mal aussi, même si le public est revenu en masse au Camp Nou dont l'affluence dépasse les 90.000 spectateurs. Ce regain est dû à Xavi dont la figure tutélaire a redonné envie d'aller au stade.
Le Barça existe de nouveau sur la scène espagnole mais il faut aussi dans le même temps qu'il redevienne un poids lourd européen, quand bien même il n'a plus gagné la C1 depuis 2015. Le trait est grossièrement forcé car il est très facile de confondre le Xavi joueur du Xavi entraîneur. Une carrière sur le terrain n'a rien à voir avec une carrière sur le banc mais le raccourci est trop tentant. Les contextes différent amplement mais, comme le dit Thierry Henry, "le temps n'a pas le temps". Gagner 1-0 en championnat, ce n'est pas le Barça et cela passe presque pour une contre-performance.
Des cadres historiques encombrants mais indispensables
C'était l'un des axes en question : Xavi saurait-il gérer ses anciens coéquipiers ? Gerard Piqué, Jordi Alba et Sergio Busquets étaient dans le viseur. Le premier a mis un terme à sa carrière en milieu de saison, le deuxième a progressivement perdu sa place au profit d'Alejandro Baldé et le troisième, si critiqué pendant des années, n'a jamais semblé aussi important depuis son départ. Car même en étant l'ombre du joueur qu'il put être, "Busi" n'a pas trouvé de remplaçant, surtout avec la blessure de Gavi. Frenkie de Jong, Ilkay Gündogan, la recrue low cost Oriol Romeu : aucun n'est en mesure d'assurer la succession. Quant au 4e larron, Sergi Roberto, le seul totem encore dans la cité comtale, il a sauvé les apparrences le 20 décembre dernier en inscrivant un doublé contre la lanterne rouge Almería (3-2). Ceux qui furent qualifiés de poids morts n'ont jamais autant manqué. Ce Barça version 2023-2024 manque de cadres, de gardiens du vestiaire.
Les blessures pèsent mais, malgré une floppée d'absents au coup d'envoi (Pedri, de Jong et Lewandowski qui entrera en cours de match), le Barça marche sur le Real Madrid à Montjuic pendant 65 minutes jusqu'à ce qu'une sagaie pleine lucarne de Jude Bellingham, une recrue à 100M€ comme les Blaugranas ne peuvent plus qu'en rêver (même s'ils sont encore capables de craquer 30M€ + 30 d'éventuels bonus pour Vítor Roque), ne change le cours d'une rencontre où le manque de réalisme a coûté très cher.
Cette défaite à domicile (2-1) marque un point d'inflexion alors que, collectivement, le match est abouti. Gündogan se plaint dans la presse mais son rendement global est douteux. Le milieu de terrain, la fameuse "salle des machines" blaugrana, est décimé. Pedri est toujours entre deux blessures depuis que Koeman l'a usé jusqu'à la corde et que Luis de la Fuente l'a sélectionné aux JO de Tokyo.
De Jong a également eu des passages à l'infirmerie. Le Néerlandais a longtemps été protégé médiatiquement par Busquets, accusé de tous les maux. À présent, ses performances sont remises en cause en première ligne. C'est certainement l'un des aspects les plus douteux du mandat de Xavi : quel est le positionnement et quelle est la fonction de De Jong ? Trop bas sur le terrain, incapable de conclure les actions et d'apporter du nombre dans la surface, étalant ses difficultés de placement dans le secteur défensif et tout simplement en manque de leadership, l'ancien joueur de l'Ajax, arrivé en 2019, reste une énigme et on serait bien en peine de nommer son véritable poste.
Cette saison, Xavi n'a pas réussi à rendre son équipe rapide dans ses attaques, ce qui est un corrolaire de la première place du Barça dans le secteur de la possession. En revanche, les Blaugranas caracolent en tête des occasions de buts créées, pointent au 3e rang en termes de qualité d'occasions. Mais Xavi ne peut pas faire grand chose quant au manque de finition, ses joueurs étant à la dernière place du championnat dans ce secteur.
La promotion de Deco et l'ombre de Jorge Mendes
Lors de la conférence de presse avant la réception de Villarreal, Xavi avait esquissé les contours d'un départ. "Peut-être finirez-vous par me regretter" disait-il en substance. Le matin du 1er juillet, un nouvel entraîneur prendra sa suite mais de quel acabit sera-t-il ? Sans argent, avec la menace d'un effondrement économique alors que le nouveau Camp Nou sera livré en novembre, quel homme collera à la situation ? Si une légende comme Xavi termine ainsi, qu'en sera-t-il pour un coach venu de l'extérieur ? Poussé vers la sortie par Laporta, García Pimienta présente toutes les caractéristiques mais n'est pas assez coté, voire bling-bling. La présence de Deco, avec l'ombre envahissante de Jorge Mendes, constitue une vraie difficulté. Car si l'inexpérience de Xavi a été soulignée, celle de l'ex international portugais au poste de directeur sportif est un problème majeur. Les arrivées de Joao Cancelo et Joao Felix, le lobbying pro Raphinha : la cohabitation devenait tendue, d'autant qu'Alemany a mis la flèche, un coup dur plus profond qu'il n'y paraît.
Pour de nombreux observateurs, Deco à un tel poste décisionnaire, c'est le loup dans la bergerie. Sa proximité avec Mendes a encouragé les prêts de Cancelo et Félix, deux intermittents du spectacle. Le premier n'a jamais vraiment su défendre, aussi bien à droite qu'à gauche. Le second a longtemps pu se cacher derrière Diego Simeone, accusé de faire déjouer "O Menino", mais le dillettantisme du Portugais n'est pas une légende colchonera, au point que Torres est passé devant dans la hiérarchie. Pour autant, Laporta continue d'avoir les yeux de Chimène pour l'ex Benfiquiste qui illustre cette irrégularité blaugrana avec des buts décisifs contre l'Atlético (1-0) ou le Betis au Villamarín (4-2) mais aussi une sérieuse tendance à renâcler sur le travail défensif et à disparaître de certains matches comme ce fut le cas contre le sous-marin jaune.
Hécatombe et inexpérience généralisée
La saison de la confirmation est toujours la plus difficile et le Barça 2023-2024 n'a jamais décollé. Pourtant, statistiquement, c'est l'équipe qui se procure le plus d'occasions dans les 5 championnats majeurs en Europe. Se renforcer sans argent (seulement... 3,4M€ ont été dépensés en transferts pendant l'été, c'est-à-dire le prix du transfert de Romeu en provenance de Girona) est d'une rare difficulté et, en plus, les Catalans ont eu leur lot de blessures. C'est assurément l'un des doutes les plus importants concernant le passage de Xavi : son staff. Sans figure expérimentée, celui-ci n'a pas pris la mesure de la tâche, surtout sur le plan physique.
Malgré tout, la vraie tuile qu'a été la blessure de Gavi a été contractée en sélection. Et puis ce fut l'hécatombe : Marc André ter Stegen, Íñigo Martínez, Pedri, De Jong, Lewandowski, Alonso, Christensen, Raphinha, Baldé. Sur la durée, le Barça a baissé de pied, notamment en Ligue des Champions malgré une qualification en 1/8 de finale actée dès la phase aller et validée au soir de la 5e journée. Parmi les autres choses que Xavi ne peut pas maîtriser, il y a aussi les méformes en défense, avec Araújo et surtout Koundé, ballotté entre l'axe et le côté droit. Trop de défense en 2022-2023, pas assez en 2023-2024 en somme.
À l'heure actuelle, le Barça n'est pas un club qui peut lutter sur tous les tableaux. Une autre chose où il n'est pas assujetti à la même règle que les autres clubs. Dans un collectif encore friable, quel club peut s'en sortir sans son gardien titulaire (désigné meilleur joueur de la saison dernière qui plus est) et en alignant des gamins pour pallier les absences ? Samedi, Héctor Fort et Pau Cubarsí ont fait leur âge. Du haut de ses 16 ans, Lamine Yamal a été l'un des seuls à essayer et l'entrée de Pedri, préservé au coup d'envoi, a modifié le visage de l'équipe. Fermin López, révélation de la tournée estivale aux États-Unis, s'est aussi fait une place dans la rotation.
Le rôle ambigu de la presse catalane
C'est un des points les plus intriguants du microcosme blaugrana : la presse locale. Absolument tout filtre dans les media. Cela fait d'ailleurs plusieurs fois que l'entraîneur ne se gêne plus pour renvoyer certains journalistes dans les cordes. Paradoxalement, ce sont bel et bien des journalistes catalans de la Cadena SER qui ont sorti l'affaire Negreira, actuellement en instruction.
Chose extraordinaire, l'annonce de son départ en fin de saison n'a pas transpiré... même si la tenue du réunion et le maintien en poste était déjà portée à la connaissance de tous sur les réseaux sociaux. Trop d'intérêts s'entrecroisent au sein d'un club éminemment politique, si bien que l'avenir du Barça en soi n'est pas une priorité. Au sein du club qui vante plus qu'aucun autre le jeu collectif, c'est l'intérêt invidualiste qui règne. Ce qui peut échapper à un joueur (et encore, vu que sous la mandature Bartomeu, la direction a payé une société pour descendre les joueurs, à commencer par Messi) ne peut l'être par un entraîneur. Courir contre le vent épuise. Déjà très nerveux dans sa zone technique, Xavi a aussi reçu des quolibets quand il a évoqué la taille de la tonte de l'herbe après un 0-0 à Getafe. En conférence de presse d'avant-match, les questions sur sa continuité sont devenues monnaie courante, sans chercher à comprendre la situation de son vestiaire et l'état de son infirmerie.
Pour toutes ces raisons, le Barça version Xavi a réussi une partie de ses objectifs, c'est-à-dire regagner des titres. En revanche, il n'a pas convaincu sur le plan du jeu et, pour la postérité, il sera bien délicat de décrire la couleur de cette équipe. Peut-être aurait-il fallu plus de temps et, assurément, plus d'argent pour parvenir à ce qui, finalement, ressemblait à la quadrature du cercle pour un coach au glorieux passé sur le terrain mais trop inexpérimenté sur le banc pour un tel défi.